Comédie dramatique de Jean Anouilh, mise en scène de Jean-Laurent Cochet et Sam Richez, avec Jean-Laurent Cochet, Sam Richez, Vincent Simon, Maryse Flaquet, Fabrice Delorme, Norah Lehembre, Catherine Griffoni, Jean-Pierre Leroux; Julien Morin, Jean-Claude Eskenazi, Jacques Ibranosyan, François Pouron, Anthony Henrot et Pierre Ensergueix.
Après Alain Resnais, qui, en 2012, avait tourné "Vous n’avez encore rien vu", un film inspiré de cette pièce, c’est au tour de Jean-Laurent Cochet et de Sam Richez de s’emparer d’"Eurydice" de Jean Anouilh.
Peu jouée parce que nécessitant un plateau d’une quinzaine de comédiens, elle s’inscrit dans la lignée des œuvres créées pendant l’Occupation et l’après-Guerre. Aux côtés des hommes rôdent le destin, des ombres, des fantômes. Les dieux et les demi-dieux reviennent aussi parmi les hommes. Tout est confus, tout est possible et le malheur est toujours gagnant.
Avant Cocteau, Anouilh revisite Orphée, sans ange Heurtebise mais avec un jeune homme qui pourrait s’appeler comme ça, un envoyé du pays des morts qui va peser sur le destin du héros et de son amour, Eurydice.
Ici, Eurydice est comédienne et s'affiche dans la lignée des jeunes filles chères à Anouilh. Leur histoire d’amour sera irrémédiablement tragique et, pour corser le tout, parsemée de buffets de gare et de chambres d’hôtels.
Dans leur adaptation, Jean-Laurent Cochet et Sam Richez ont privilégié la compréhension d’une pièce plus étrange qu’il n’y paraît, une pièce qui brouille une fois de plus les cartes d’Anouilh.
Est-il un classique ou un moderne ? Un auteur daté ou un dramaturge intemporel ? Complique-t-il des bluettes trop simples ou échafaude-t-il des histoires étranges ? Y a-t-il de la profondeur dans son récit ou a-t-il seulement le génie de rendre bizarres des histoires banales ?
Grâce à cette version, on aura tous les éléments sur la table pour se prononcer sur l’actualité d’Anouilh, sa consistance ou son insignifiance. Quelle que soit la conclusion à laquelle on parviendra, on admettra qu’Anouilh donne d’abord des rôles à ses acteurs.
Du père d’Orphée jouée avec une délectation bonhomme par Jean-Laurent Cochet aux "petits rôles", comme celui du secrétaire du commissaire qui doit lire une lettre émouvante, tous les comédiens ont quelque chose à dire ou à faire. Et que dire des ambiances qu’il sait créer autour d’une table de café ou d’un lit d’amour ?
Petit maître pour les uns, grand auteur pour les autres, Anouilh a la réplique facile, le mot qui touche. On n’oubliera pas la scène centrale entre Orphée et Eurydice, celle où, conformément à la légende, il ne doit pas se retourner. On est ici à quelques notes d’une chanson de Piaf, avec ces amants d’un jour, si beaux, si perdus.
Aux côtés de Sam Richez, qui propose un Orphée vif et étonné, on retiendra la prestation de Norah Lehembre, qui joue les jeunes premières d’antan avec une belle détermination d’aujourd’hui.
Entre roman photo et tragédie grecque, théâtre bourgeois et drame populaire, "Eurydice" est une pièce qui vient à bout de bien des réticences, surtout quand elle est montée comme par le duo Cochet-Richez, sans effets, avec pour sage consigne la clarté et le respect d’un auteur qui, à l'issue des représentations de leur "Eurydice", sortira un peu plus de son purgatoire. |