Comédie de Marivaux, mise en scène de Luc Bondy, avec Isabelle Huppert, Jean-Damien Barbin, Manon Combes, Louis Garrel, Yves Jacques, Sylvain Levitte, Jean-Pierre Malo, Bulle Ogier et Bernard Verley.
D'emblée, il faut dire à ceux qui aiment la prose de Marivaux, et particulièrement celle des "Fausses confidences", son chant du cygne et sans doute l'une de ses plus belles partitions, qu'ils ne seront pas à la fête dans cette version où la mise en valeur du texte n'est pas le souci premier.
Quand, la valise à la main, Dorante, beau ténébreux joué par Louis Garrel, pénètre en costume "moderne" sur un plateau presque vide, d'où détonnent à l'arrière de la scène plusieurs "cercles" de chaussures étalées au sol et à l'avant quelques tables encombrés de dossiers, qui finiront par voler par terre, on n'a pas vraiment l'impression d'entrer dans l'univers de Marivaux.
On croirait plutôt pénétrer dans celui de Tchekhov, d'autant que Dorante, résigné et plaintif, ne semble pas s'apprêter à passer une "folle journée" où, au gré de ses stratagèmes, ou de ceux imaginés par son comparse Dubois, ce jeune homme sans fortune et sans avenir va se transformer en époux d'une riche veuve.
Tout au long de cette version, qui oublie que Marivaux est le premier à faire un théâtre qui analyse finement les différences sociales, à tel point qu'on pourrait y voir éclore de la lutte entre classes, les intrigues qui font son charme et sa complexité seront réduites à des confrontations "frontales", à des numéros d'acteurs qui, cette fois-ci, sembleraient avoir quelque chose de Tennessee Williams.
Les protagonistes pourront, ainsi, selon leurs envies ou leurs lubies fumer des cigarettes, se déplacer un verre de champagne à la main, ou s'allonger les bras en croix à même le sol.
Ainsi, Isabelle Huppert pourra troquer son jeu cinématographique tout en nuances, jamais outré, celui qui a fait d'elle une actrice incontournable depuis presque quarante ans, pour un style de jeu très démonstratif, presque Actor's Studio.
Avec ses déplacements aléatoires en chaussures à talons, sa voix aux inflexions changeantes, elle donne l'impression de tanguer, de jouer l'ivresse. Feint-elle aussi de ne pas savoir son texte, de s'emmêler dans les répliques ou répond-elle au cahier des charges demandé par Luc Bondy ?
Est-ce ainsi qu'elle doit justifier son statut de "star" ? Araminte, annoncée dans la pièce comme une "jeune veuve", devient donc un personnage "border line", plus proche de Blanche Dubois que d'une héroïne de Marivaux prête à un nouvel amour.
Dès lors, "Les Fausses confidences" changent de nature. Les personnages de valets chers à Marivaux deviennent très secondaires que ce soit Arlequin ou qu'il s'agisse de Dubois. Ce dernier, pourtant élément moteur de la trame imaginée par Marivaux, et interprété par l'impeccable Yves Jacques, paraît parfois un personnage inutile et encombrant qui intervient comme un cheveu sur la soupe dans le face-à-face Araminte-Dorante.
Posé comme un fait indiscutable, leur amour réciproque semble une convention théâtrale que rien ne justifie. Au cinéma, jamais Louis Garrel, qui, par exemple, dans les films de son père Philippe convole avec des Monica Bellucci ou des Anna Mouglalis, ne serait crédible en amoureux sincère d'Isabelle Huppert.
Celle-ci devrait jouer les couguars hystériques pour qu'on puisse accepter qu'elle attire son jeune partenaire autrement que par son argent. On pourra avoir la confirmation de cette affirmation dans moins d'un mois, quand sortira "Abus de faiblesse", film de Catherine Breillat, dans lequel Isabelle Huppert joue la cinéaste sexagénaire victime d'un jeune escroc qui n'en voulait qu'à sa fortune.
Au théâtre, Huppert fait mieux qu'Huppert au cinéma et peut, sur son nom, gagner l'amour d'un garçon de trente ans son cadet. Certes, cette situation n'est pas impossible, mais elle n'est pas expressément plausible.
Reste, une fois accepté que Marivaux ne soit pas la préoccupation de la représentation, le plaisir de voir une "star" vampiriser la scène de ces caprices incongrus, celui d'assister à des prestations singulières comme celle haute en couleur de Bulle Ogier en Madame Argante, ou encore celui d'attendre le surgissement à tout instant d'éléments illogiques, voire surréalistes, comme ce "gag" où Arlequin se sert d'une jatte pleine de salade pour écraser sa cigarette... |