Suite de réflexions au cours de balades mancuniennes
Votation anti-immigration en Suisse, manifestations contre l’avortement en Espagne, amalgames pour tous en France : mon pays me fait honte, et je ne sais plus trop sur quel continent j’habite. Mes réseaux sociaux pourraient me rassurer : la plupart de mes contacts partagent cette préoccupation, au mieux – ou s’en foutent un peu, au pire. En réalité, en m’y connectant, je constate plus encore que d’habitude à quel point je me déconnecte du monde réel.
La petite fenêtre que me proposent Facebook et Twitter donne sur un monde biaisé, partiel. Les quelques milliers de personnes que j’y aperçois sont forcément représentatives d’une partie de la population, mais les journaux dévoilent le prisme par lequel je les regarde ; il y a bel et bien une majorité (plus tellement) silencieuse, tout au moins d’autres minorités, d’autres communautés de pensée qui me rendent étranger à mon pays. Plusieurs réalités coexistent – cf. épisode précédent.
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Mon statut de semi-Mancunien magnifie cette loupe. Vu d’ici, le vieux continent ressemble à une grosse île où les murs réactionnaires poussent inlassablement. Je dois avoir sur le nez les lunettes occultantes de l’expatrié, qui ont tendance à idéaliser le pays d’adoption. J’ai discuté cette semaine avec des locaux, leur demandant quelle était la situation en Angleterre. Tout n’est pas si rose. Les conservateurs au pouvoir jonglent habilement avec les chiffres (la Grande Bretagne connaît depuis quelques mois une croissance inattendue) et passent les réformes les plus discutables en douce.
Autre motif d’inquiétude : la part des votants séduits par le UKIP est grandissante. Ce parti fondé en 1993 défend l’indépendance du Royaume-Uni (Grande-Bretagne + Irlande du Nord). Sous couvert d’un discours protectionniste décomplexé, vierge de toute xénophobie ouvertement insultante, le UKIP est l’incarnation britannique d’une tendance qui semble émerger en Europe : un néonationalisme un peu clean (à quelques débordements oraux près, pas de gros scandales jusqu’ici) ; pas très subtil mais désinhibé par une verbalisation grotesque de la crainte de l’autre par la droite traditionnelle apparue avec Sarkozy, Berlusconi et autres (et malheureusement reprise aujourd’hui par une "gauche" tendance Vals) ; un peu faussement éloigné de l’extrême droite. Une version continentale du Tea Party, en somme, qui utilise ses nouvelles têtes et instrumentalise l’épuisement de celles que leur public a le sentiment d’avoir trop vues.
Le jeu du UKIP avec le sentiment de peur est comparable à celui de ses homologues européens. Il a l’air un peu neuf, mais c’est juste une nouvelle couche de vernis sur un discours aussi vieux que la révolution industrielle, et les migrations qui l’ont accompagnée : "they’re gonna come and take our jobs". C’est triste, mais il y a toujours eu une audience pour ce genre de discours, et en ce moment elle se manifeste plus que d’habitude. Comme je l’ai lu un jour dans Le Monde diplomatique, le monde semble plus petit, vu de l’étranger.
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