Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Marguerite Duras, mise en scène de Didier Bezace, avec Clotilde Mollet et Didier Bezace.
Datant des années 1950, d’abord roman, "Le square" appartient à la première veine de Marguerite Duras encore très marquée par ses compagnons des éditions de Minuit, tels Samuel Beckett et Nathalie Sarraute.
Ici, on n’entendra que par intermittence la petite musique de Marguerite et cette œuvre minimale à deux personnages assis sur des chaises de jardin public se rattache à un certain théâtre de l’absurde, lorgne du côté d’Adamov et de Beckett.
Assise sur une chaise, surveillant un enfant qui joue dans le parc, une femme est abordée par son voisin, un voyageur de commerce qui a posé sa valise et se repose dans ce jardin. Leur conversation sera "neutre"sans autre enjeu apparent que celui de passer le temps.
Créée en 2003, cette version de Didier Bezace repose pour beaucoup sur le décor de Jean Haas, où le square est symbolisé par un empilement pyramidal de chaises à la droite de la scène en contrepoint de celles où sont assis les deux protagonistes.
Dans ses indications, pas encore si précises que dans ses pièces plus tardives où les didascalies constituent à elles seules un rôle, Marguerite Duras parle d’une jeune fille pour jouer ce qu’on appelait alors une "bonne pour enfant".
En reprenant dix ans après ce rôle, Clotilde Mollet n’est évidemment plus tout à fait une jeune fille. Face à elle, Didier Bezace, qui remplace Hervé Pierre, n’est pas non plus strictement un homme de quarante ans. Dès lors, les choses dites prennent un tour plus réaliste, paraissent s’inscrire dans un contexte sociologique plus précis que celui que suggérait la pièce de Duras.
Voyageur avec bagage, qui bricole en "vendant des petites choses dont on a toujours besoin et qu’on oublie si souvent d’acheter", et qui ne mange pas toujours à sa faim, l’homme perd de sa dimension poétique pour apparaître comme un futur "SDF".
Quant à la "jeune fille", devenue presque une "vieille fille", elle n’est plus dans l’espoir mais dans l’illusion quand elle envisage son mariage, parle des bals où elle va pour rencontrer ce mari qui va la sauver de sa situation.
Cependant, on ne fera pas la fine bouche devant les choix opérés par Didier Bezace. D’une pièce qu’il faut bien considérer comme datée si on la joue dans sa littéralité des années 50, il tire un face à face émouvant entre deux paumés de la vie, voués tous les deux à un destin sordide.
Dans la logique d’un théâtre du vide, d’un théâtre où tout restait diffus et rien ne prenait forme, l’on n’envisageait pas que leur petite discussion débouche sur quelque chose, et surtout pas une impossible liaison amoureuse. Dans la version proposée par Didier Bezace, cela devient une réelle possibilité.
D’une œuvre fragile d’un auteur en construction, il a tiré une heure de vrai théâtre et s’est, par la même occasion, octroyé un très beau rôle aux côtés de Clotilde Mollet, dont il faut dire et redire qu’elle est une magnifique comédienne.
Une réussite qui ne trahit pas un beau texte, mais qui lui permet de parler encore au spectateur d’aujourd’hui. |