Comédie dramatique de Marguerite Duras, mise en scène de Didier Bezace, avec Emmanuelle Riva et Anne Consigny.
"Il faut que je le dise une fois, presque jamais rien n’est joué au théâtre… tout est toujours comme si… comme si c’était possible" dit le personnage de la vieille femme appelée Madeleine dans "Savannah Bay", comme si, dans la nuit vague et incertaine de sa mémoire en perdition, elle voulait résumer cette œuvre de Marguerite Duras
"Savannah Bay", c’est dans un espace théâtral réduit souvent à une estrade, deux femmes l’une près de l’autre. Celle qui se tient devant, adossée à la plus jeune, est peut-être une actrice atteinte de ce qu’on n’appelait pas encore si communément la maladie d’Alzheimer en 1982, lors de la publication de la pièce. Marguerite Duras lui avait donné le prénom de la créatrice du rôle : Madeleine Renaud. Sa partenaire, qualifiée de jeune femme, est sa fille ou sa petite-fille.
Entre elles, les liens du sang et ceux du passé sont en train de s’évanouir avec les souvenirs perdus de la vieille dame, mais Marguerite Duras, dont la présence envahit le texte, pense qu’au bout de l’oubli il y a forcément quelque chose de douloureusement inoubliable. C’est ce quelque chose qui pourrait être l’enjeu de "Savannah Bay".
Emmanuelle Riva succède à Madeleine Renaud et quand sa voix cherche des mots oubliés, on retrouve l’écho fragile de la jeune fille d’"Hiroshima, mon amour". Le film qu’elle mime, comme Gloria Swanson dans "Sunset Boulevard", c’est peut-être celui de Resnais, celui où elle disait les mots de Duras, ceux de la fille tondue de Nevers faisant l’amour avec un Japonais à Hiroshima.
Face à Emmanuelle Riva, alliant la sérénité d’une petite fille presque espiègle à l’émotion éprouvante d’une vieille dame en train de se regarder se perdre, Anne Consigny est une quadragénaire à la fraîcheur juvénile qui se refuse à cette perte d’une mère qu’elle aime plus que tout.
Peut-être que ce duo construit par Didier Bezace est au final moins durassien que celui que constituait Madeleine Renaud et Bulle Ogier, qu’Emmanuelle et Anne sont moins crédibles qu’elles en mère et en fille, mais porté par l’écho de la chanson d’Edith Piaf toujours présente, le duo fonctionne très bien et révèle les beautés du texte et les grâces de la musique de Duras.
Sublime, forcément sublime. |