Spectacle conçu et mis en scène par Stéphanie Loïk d'après le roman éponyme de Tarjei Vesaas, avec Marie Filippi, Maxime Guyon, Najda Bourgeois et les circassiens Bastien Dausse et Mariotte Parot.
Tarjei Vesaas est avec Knut Hamsun l'écrivain norvégien le plus connu du 20ème siècle. Si Hamsun a une palette qui va du naturalisme jusqu'au fantastique, Vesaas est plus replié sur des textes introspectifs, des plongées dans l'intime, où le peu qui est dit peut se révéler riche de rencontres.
Il y a quelques mois, Claude Régy s'était emparé avec bonheur d'une œuvre forte et crépusculaire, "La barque, la nuit". Stéphanie Loïk, avec "Les Ponts", œuvre ultime de Vesaas, tente le même exercice austère et minimale.
Dans une fumée opaque, une odeur d'encens qui fait tousser, Torvil et Aude, un garçon et une fille de seize ans, se devinent peu à peu. Dans un lieu vide et noir, symbolisant une forêt profonde, les jeunes gens se déplacent. Ils parviennent sous un pont où ils font une macabre découverte...
Dans l'imaginaire norvégien, si l'on connaît aussi Hamsun, la fille mère infanticide est une proposition courante. Voilà donc, Torvil et Aude confrontés à Valborg qui a commis l'irréparable. Promis à un destin commun sans cette rencontre, avec peu de mots et quelques acrobaties Torvil et Aude vont se séparer, disparaître l'un à l'autre.
C'est ce déchirement, dans une économie de moyens théâtraux extrême, que conte "Les Ponts". Stéphanie Loïk n'a pas conçu cette infra-tragédie comme un drame à trois.
Elle a aussi posé sur scène un couple d'acrobates qui se plie et se déplie dans un cerceau suspendu là dans un infini provisoire. S'ensuit une chorégraphie de gestes jamais amples, toujours retenus, toujours simples.
Les trois jeunes acteurs ne sont pas non plus dans la démonstration. Leurs prestations juvéniles, parfois scolaires, donnent à l'ensemble quelque chose d'authentiquement enfantin, justifiant un dénouement pas forcément prévisible.
Marie Filippi, Maxime Guyon et Najda Bourgeois ont la responsabilité d'un texte littéraire ascétique dans lequel les mots qu'on dit n'ont pas pour vocation d'expliquer ni de faire toujours sens. C'est alors leur cœur qui supplée leur expérience.
Dans ce voyage à mots couverts, le spectateur attentif, qui ne sera pas insensible au fracas qui déchire l'amour naissant de Torvil et Aude, partagera avec eux ce moment où l'indicible a raison de toute raison. |