Alors qu'au Grand Palais, se déroule la grand-messe à la mémoire de Robert Mapplethorpe sous forme d'une rétrospective orchestrée par le commissaire Jérôme Neutres qui l'érige en "Saint-Mapplethorpe, plasticien et martyr",
le Musée Rodin propose, en collaboration avec la Fondation
Robert Mapplethorpe, un inattendu face-à-face.
En effet, Hélène Pinet, conservatrice au Musée Rodin responsable de la recherche et des collections de photographies, Judith Benhamou-Huet journaliste, critique d'art, auteure d'un "memorial" consacré au photographe, qui ont collaboré à l'exposition du Grand Palais, et Hélène Marraud, attachée de conservation, chargée des sculptures du Musée Rodin, ont uni leur regard pour apparier les oeuvres de Rodin et de Mapplethorpe.
Cet exercice de style repose sur une méthode d'analogie formelle, thématique et esthétique et se décline en sept pôles de convergence à partir du commun dénominateur qu'est le corps.
Mapplethorpe vs Rodin
Les commissaires appliquent donc cette méthode aux "sculptures photographiques" de Robert Mapplethorpe, émanation de l'undergound newyorkais des années 1970 qui a accédé à la notoriété comme chantre de l'homoérotisme et du porno gay, et aux sculptures de Auguste Rodin, considéré comme l'initiateur de la statuaire moderne, dont l'oeuvre marque la transition entre la sculpture naturaliste et la sculpture abstraite.
A chacun de gloser sur le dialogue la confrontation, la résonance, voire même la gémellité qui émanerait de cette exposition "Mapplethorpe-Rodin" dont la visite retient l'attention sur trois points. En premier lieu, la réussite absolue de la scénographie élaborée par Nathalie Crinière.
Elle a magnifiquement résolu les contraintes spécifiques liées à la monstration en parallèle des deux médiums, les vitrines pour les sculptures et les cimaises pour les photographies, par l'unicité du matériau utilisé.
Le verre, qui par sa transparence allège les structures, lui a permis d'élaborer une superbe galerie translucide à l'esthétique contemporaine.
Ensuite, la disproportion entre les deux corpus d'oeuvres : une cinquantaine de sculptures pour plus de deux cents photos, au demeurant essentiellement ces années 1980.
Et cependant, dans cette surabondance d'images lisses sur papier glacé avec les noirs profonds résultant d'un tirage émérite, ce sont les sculptures qui s'imposent et qui retiennent le regard.
La lustration du photographe ne résiste pas à l'exaltation du sculpteur qui transcende la matière.
Par ailleurs, si plane l'ombre de la statuaire antique, elle est sublimée chez Rodin alors qu'elle constitue une référence mimétique chez Mapplethorpe dont les nus esthétisants à l'anatomie érotisée s'inscrivent dans la filiation de la photographie de nu des années 1930-40, entre autres, de Man Ray ("Anatomie", "La prière") à Heinz Hajek-Halke ("Nu noir et blanc") en passant par André Steiner ("Muscles") et Lucien Clergue ("Nu de la mer").
Enfin, la monstration met en évidence la modernité de Rodin, dont les oeuvres sont intemporelles et universelles, qui rend d'autant plus daté, et donc "démodé", l'album de photos de Mapplethorpe, des photos "typées" par sa prédilection pour la plastique des hommes afro-américains, qui ne propose que des objets de consommation (fantasmatique) visuelle.
Rodin invente, Mapplethorpe représente. Rodin créé la vie, Mapplethorpe momifie le corps nonobstant l'excellent travail du tireur sur les noirs profonds et les effets du grain.
Parce que Rodin découvre sa vocation par la confrontation avec la matière brute de laquelle, par l'acte démiurgique de l'artiste, il fait émaner la forme organique alors que Mapplethorpe participe à l'élaboration de l'iconographie gay.
A voir pour le plaisir des yeux et plus si affinités. |