Dans le cadre bucolique de La Ferme d'en Haut, à Villeneuve-d'Ascq, on découvre ce soir des éléments disparates de groupes lillois qui chantent le corps électrique, et des marquises aux goûts très sûrs.
I sing the body electric est composé de membres échappés des Ed Wood Jr, Bobik ou Sacha et autre Persian Rabbit du coin, jeunes gens aux pratiques déjà riches qui s'encanaillent dans ce tout nouveau projet décomplexé. C'est annoncé, ce soir c'est leur premier concert et leur sixième répétition. Mais ce qu'ils ont déjà accumulé sous leurs pédales respectives fait un set pourtant très harmonieux.
Dire que c'est un peu folk et qu'il y a un banjo (Guillaume Hairaud, qui chante aussi et fait partie de Bobik ou Sacha) serait donner une fausse idée du résultat. Dire que le batteur (Lo Caf from Persian Rabbit) est d'une finesse et d'une richesse de jeu exquises serait trop peu éclairant. Dire que le joueur de piano Rhodes (Frédéric Tentelier from Bobik ou Sacha) est pénétré du rythme endiablé sous-jacent serait réducteur. Dire que le guitariste (Olivier Desmulliez d'Ed Wood Jr.& Persian Rabbit) se saisit sur la fin d'un archet et du micro serait insuffisant. Mais faites donc avec : mon tout est composé de ces creux et d'une sourde inquiétude, et donne drôlement envie d'en entendre plus de ces jeunes gens.
Viennent ensuite Les Marquises. Sans transition avec le fond sonore, ils attaquent leur "tube" "Les Maîtres Fous", formidable morceau d'hypnose aux goûts de jungle (la végétation folle et moite, pas le style), servi ici en version plus rapide, plus urgente, plus efficace encore. Là aussi des gens aux projets multiples, dont la musique est riche mais le projet intègre. Sur l'album il y a de nombreux invités autour de Jean-Sébastien Nouveau ; sur scène ils sont trois à l'épauler, tête pensante et corps discret aux claviers.
La voix polymorphe d'Arnaud Lemoine, Souleyman Felicioli à la trompette pour le voyage intérieur et aux percus pour le voyage des pieds et Julien Nouveau à la batterie vaudou. Tous sont disposés en un arc de cercle assez lointain, qui crée un vide où finalement on est libre de projeter ses fantasmes d'auditoire instru-mentalisé par ce son décidément venu d'ailleurs et pourtant d'une ultra-moderne amplitude. Les deux albums des Marquises se mélangent, Lost Lost Lost et le dernier Pensée Magique, qui sont des pièces autant de réjouissance auditive que de réflexions, par leurs références explicites (Henry Darger et Jean Rouch), sur ce que sont l'art, l'art brut et la brutalité de l'art. Et l'humain dans tout ça.
Et bien l'humain, ce soir-là, il est rentré chez lui après ce super concert et il s'est mis les albums pour poursuivre un peu ses effets bénéfiques et remercier ces Marquises, parce que de la musique qui fait réfléchir, on en prendrait bien tous les jours à la cantine. |