Parmi les multiples festivals qui ont lieu dans la métropole lilloise, il y a par exemple les originaux gastronomiques (la Louche d'or, festival international de la soupe) ou les audacieux sportifs (la Quinzaine de l'entorse, sur l'art et le sport, qui dure 3 mois comme son nom l'indique). Il y a aussi, pour la cinquième fois cette année, Les Mots de Travers(e). Organisé par la Générale de l'Imaginaire, et se tenant dans divers lieux tels que bar, librairie, salles de concert, il se dit festival des arts de la {prise de} parole convoquant, sur fond de conscience sociale, le spectacle vivant et la littérature.
Ce soir, c'est à la Condition Publique que l'on va voir, avec les oreilles, trois groupes autour de cette thématique de mots saisis, pétris, investis.
Les deux landais de Rhume, comme entrée
De jeunes gens authentiquement énervés ; sans la pause pour le moins irritante chez certains autres, eux gueulent sans chichis le pétrole et le gras des cuisses, contemplent les voitures qui passent et en font une prose bitumineuse. Une guitare, une cymbale qui se prend de sacrés coups, une machine électrique (notons qu'ils n'oublient pas de faire une musique bien plus qualitative qu'un simple accompagnement), une voix brute et très intelligible nous racontent le sexe en chair triste, les lendemains de cuite, un univers plus bière et sandwich au pâté qu'intérieur marbre, plus piscine municipale que côte d'Azur. Très remarqués aux Transmusicales, cités sur le Mouv' ou France Culture, on se demande pourquoi eux ne percent pas, avec la richesse de titres comme "Tempête dans un verre d'eau", "Le sexe des femmes" ou l'hilarant "BBF expulsés". Ô ingratitude. En attendant que quelque chose se passe, on peut visiter leur Bandcamp et télécharger leur album éponyme, un investissement sûr.
Le plat de résistance, ça leur va bien : Michel Cloup Duo
Donc Michel Cloup à la guitare et à la voix, ex-Diabologum, ex-Expérience, ex-Binary Audio Misfits, et Patrice Cartier à la batterie, ex-Experience, ex-Binary Audio Misfits. Disert, Cloup se propose, outre des Mots, de nous faire entendre des Sons. Et on a presque envie de parler de Verbe, dans un sens très "commencement". La musique et les mots ne font qu'un tout, alliance étrange entre voix douce et instruments aiguisés, une intimité qui parle de chacun. Citant la plupart des titres du dernier album Minuit dans tes bras, la set list recouvre une palette immense d'émotions, de tensions. Du rock sur des braises de "Sortir, boire et tomber" ; du rythme haché, exponentiel, de "Ma vieille cicatrice", se répercutant sur la structure métallique de la petite salle ; à l'introspectif "Minuit dans tes bras #2", où la voix de Françoise Lebrun fait incliner la tête du public entier, berceuse ultime et douce, d'acceptation, d'amour aussi, comme tout ce qu'ils font.
Enfin en dessert, une partie de Ripostes : Serge Teyssot-Gay et l'auteur-éditeur Krzysztof Styczynski
Aventure dans la durée, multi-formes, multi-têtes, Ripostes se compose aussi du poète Michel Bulteau et du slameur Saul Williams, et vise à donner vie à un livre-disque à venir, mais aussi et surtout faire exister leurs mots, leurs cordes qu'elles soient vocales ou de guitare, les faire vivre et vibrer, et nous avec elles. La guitare de Teyssot-Gay est comme lui : pieds nus. Brumeuse, juste là, atmosphérique et terrienne. Le poète derrière son pupitre, conte, chaud, des textes qui se perdent un peu, une poétique-monde, humaine, très humaine, blessée aux traces de guerres d'aujourd'hui. Une riposte par l'engagement du corps, des mots, du soi, à une pesanteur, à une violence, une laideur de bataille.
Que d'horizons ce soir. Plutôt que des mots de travers(e), ce furent des mots de perspectives, il faudra tenter d'en garder la saveur saignante, au léger fumé de tourbe. |