En 1993, le romancier écossais Irvine Welsh, affilié aux écrivains de la "chemical generation", décapait la scène littéraire britannique avec "Transpotting", roman devenu culte avec sa transposition filmique par Danny Boyle.
Il y relatait, dans la langue populaire du cru, le mal de vivre dans un pays en pleine dépression économique d'un groupe de jeunes, amis d'enfance, qui avaient pour seul viatique, l'alcool, la violence et la drogue.
Vingt ans après, les Editions Au Diable Vauvert publient son avant-dernier opus intitulé "Crime" qui établit un pont entre Edimbourg Crime et Miami Vice.
En effet, Irvine Welsh a quitté la pluie des Midlands pour l'éternel été de la Floride et, cependant, dans ce nouvel opus, les thématiques sont globalement identiques. Il est toujours question de "défonce" et de violence mais concentrée autour d'une catégorie bien déterminée de délinquance, celle des prédateurs sexuels, le cadre social s'est élargi - l'Ecosse n'est plus la seule pointée du doigt - et la focale s'est rétrécie.
Irvine Welsh indiquant qu'il avait voulu écrire un thriller existentiel, "Crime" se concentre sur le parcours individuel d'un anti-héros et raconte l'épopée américaine en forme de bad trip résilient et rédempteur d'un policier écossais, victime du syndrome d’épuisement professionnel, venu se ressourcer à Miami avec sa délicieuse fiancée qui prépare activement leur futur mariage.
L'inspecteur Ray Lennox, la bonne trentaine, plutôt beau gosse et bien bâti, a priori homme sain dans un corps sain et policier aguerri a cependant sombré dans l'alcool et la cocaïne, puis la dépression, à cause d'une sale affaire de violeur pédophile. S'il est a priori désintoxiqué, il n'a cependant pas tourné la page ni exorcisé ses démons.
Tenaillé par une culpabilité obsessionnelle, dont les fondements sont plus anciens, car ce n'est pas par vocation qu'on devient "chasseur de monstres", non seulement il replonge dans ses addictions mais, comme il n'y a pas de hasard, ses pas l'entraînent dans les bas-fonds de Miami où il rencontre une fillette dans les griffes d'un réseau pédophile.
Lewis y voit le signe, la chance, d'un rachat et l'impérieuse nécessité de sauver l'enfant le pousse à se lancer dans un road movie infernal pour la mettre à l'abri auprès d'une personne en qui elle a confiance.
Irvine Welsh imbrique le passé et le présent en croisant le récit de la course poursuite avec la remémoration de l'enquête écossaise comme il croise les soliloques du personnage principal et la narration extérieure. Il entraîne le lecteur dans un monde sordide de marginaux, de loosers, de désespérés et de pourris qui exploitent les plus faibles et les plus démunis qu'il dépeint de manière féroce.
Pratiquant un réalisme brut de décoffrage et sans complaisance, il a la plume efficace pour révéler les zones sombres des individus et les relations troubles qui peuvent s'instaurer entre adulte et enfant. C'est d'autant plus glauque, violent et poisseux que les enfants sont les victimes désognées de cette humanité déchue. |