Duo chorégraphique pour danseur et pelleteuse conçu par Dominique Boivin et interprété par Philippe Priasso avec le conducteur d'engin Guillaume Ometa ou William Defresne.
Sur le parvis ensoleillé du théâtre du Bâteau Feu à Dunkerque, un étrange pas de deux a eu lieu vendredi 16 mai 2014 en fin d'après-midi entre un homme et une pelleteuse.
Aux accents d'un opéra de Massenet, l'homme, en fait un danseur bondissant, s'approcha de la machine. Élégant, le buste droit, le port altier, vêtu d'une chemise blanche, d'un paire de gants et d'un pantalon noirs, l'homme s'accrocha à la benne de la pelleteuse.
Pendant une bonne demi-heure s'ensuivit une chorégraphie inédite qui méritait bien d'être rangée dans la catégorie des "Transports exceptionnels". Ce qui aurait pu n'être qu'un tour de force monumental, inhumain, monstrueux, se révéla, par la grâce de ces concepteurs et de ces exécutants, un moment inouï, qui laissait pantois.
On n'était pas seulement devant un ingénieux et spectaculaire numéro d'acrobatie, qu'un bonimenteur eût qualifié de "jamais vu".
Non. Le spectacle conçu par Dominique Boivin, et interprété par Philippe Priasso domestiquant la machine, mérite un tout autre qualificatif, celui de "poétique" à coup sûr. Car Dominique Boivin a eu l'intelligence de ne pas opposer l'homme à l'engin mais, au contraire, de les rendre peu à peu solidaires, amis, amants. Devant le public saisi, naît une véritable histoire d'amour.
Jamais brutale, dénuée de pulsions agressives, la pelleteuse est comme la créature meccano bricolée par le Dr Frankenstein, ou comme le singe venu de la nuit des temps, King Kong, c'est-à-dire une machine malhabile, mais aimante et désirante.
Ne voulant aucun mal à l'autre, tout au contraire. Ici, c'est la mécanique qui est en quête d'altérité et sa délicatesse à se mouvoir renvoie à l'homme des mouvements de moteur positifs. Pas question dès lors pour l'homme de triompher de ce qui n'est après tout qu'un tas de ferraille.
Si son dessein était de la dominer, il disparaît peu à peu au profit d'une utopique amitié. La musique de Massenet a peut-être apaisé les mœurs de l'un et de l'autre.
Reste au final un moment surprenant de communion entre l'homme et la pelleteuse. Un moment utopique et chargé d'espoir que Dominique Boivin a étonnamment saisi. |