Réalisé par Robert Minervini. Italie/Belgique/Etats-Unis. Documentaire. 1h41 (Sortie le 25 juin 2014).
Depuis une dizaine, Roberto Minervini, documentariste italien, s'attache principalement à décrire l'Amérique profonde, qu'il aime et dans laquelle il sait s'immerger.
"Le cœur battant" devrait mieux faire connaître un travail aux confins du documentaire et de la fiction, un travail d'une grande acuité sur les êtres et pourtant capable de montrer sans démontrer.
Cette plongée dans une famille "ultra-chrétienne", vivant dans son propre monde avec pour seule fenêtre sur l'extérieur la vente de ses fromages de chèvre, ne s'accompagne d'aucun jugement moral, d'aucune volonté de fustiger, même gentiment, les "Carlson" et leurs douze enfants élevés en autarcie dans le respect strict des valeurs bibliques.
La où d'autres prononceraient des mots qui tuent comme "secte", Robert Minervini décrit avec douceur un monde où circule de l'amour. Il suffit de regarder l'affiche choisie pour le film : Sara Carlson, une des jeunes adolescentes de la famille, porte sur ses épaules un petit chevreau.
Tête baissée, yeux clos, elle a quelque chose d'une jeune Jeanne d'Arc texane. Pleine de volonté et enfermée dans ses pensées contradictoires, elle dégage un sentiment de beauté paysanne pure, celui d'un état choisi - ou accepté - plutôt que subi.
Souvent Robert Minervini va la saisir, ainsi que ses sœurs, dans la nature et dans des atours qui en feront une beauté curieusement proche de celles des tableaux de Dante Gabriel Rosetti et des Pré-Raphaélites anglais.
C'est là une autre de ses grandes qualités : Minervini évite le réalisme banal sans pour autant chercher à tout prix l'originalité. Si "Le cœur battant" a tant de force, c'est qu'on y sent une pensée pas un simple regard de circonstances. Ainsi, il part lui-même en guerre contre le "pitch" que l'on risque de faire de son film : Sara serait "amoureuse" de Colby, le garçon de son âge de la ferme voisine de la sienne, qui, lui, pratique le rodéo.
Saisissant contraste que ces deux familles perdues dans un Texas paumé, qui cohabitent dans un univers de bocage "westernien" avec de part et d'autre des jeunes en éveil qui auraient pu justement tomber amoureux dans un film de John Ford.
Ici, l'amour n'est qu'une vague curiosité mal définie qui, effectivement, peut être la cause de la "crise d'identité" qui conduit Sara à se confier à sa mère. Que les âmes sensibles, ou plutôt insensibles à toute parole d'apaisement où Dieu rôde, s'éloignent quand commence cette scène édifiante.
Tout, à l'image de cette discussion, provoque émotion et interrogation dans le film de Minervini. Son récit au plus près des vies, comptable des naissances d'enfants ou de biquettes, montre toutes les contradictions de ces gens paisibles qui communient dans le culte des armes à feu. Avec ces filles et leurs belles robes blanches du siècle passé et ces garçons qui domptent des chevaux, on a l'impression que l'esprit pionnier s'est arrêté dans cette communauté pré-capitaliste hors du temps.
Œuvre d'une grande beauté formelle, montée par Marie-Hélène Dozo qui contribua largement à la réussite des premiers films des Dardenne, "Le cœur battant" de Robert Minervini est un voyage presque anthropologique chez les derniers Américains élevés sans le cynisme des Simpson.
On peut ne pas aimer le monde réactionnaire qu'ils incarnent, trouver que Sara subit tous les jours un endoctrinement liberticide, on ne peut qu'aimer la démarche d'un cinéaste qui tente de les comprendre et qui a su montrer leur réalité ambigüe sans trahir leur confiance. |