Ce troisième jour commence avec la pop atmosphérique des perpignanais de Bess.
Les quatre garçons en noir sont la révélation du festival Les Déferlantes avec lequel Beauregard a un partenariat. Alors que le soleil est revenu, Bess, la voix mise en avant, nous offre de recommencer le festival en douceur, tranquillement assis dans le foin généreusement éparpillé sur le site suite aux averses de la veille. Devant la réaction enthousiaste du public, pourtant encore clairsemé, le chanteur lance un "On n'aura pas fait la route pour rien" visiblement ravi de l'accueil normand.
La prestation des vainqueurs du tremplin régional AÖC de cette année, Portier Dean, est aussi accueillie chaudement par le public qui a migré vers la scène B.
Leur folk soutenue par un chanteur à la voix chaude et une rythmique lente et lourde évoque les grands espaces d'outre-Atlantique. Une belle surprise, toute en émotion et en finesse.
"Jesus, I got to write a song about dinkin' wine" lance le barbu Seasick Steve après une généreuse rasade de rouge à même la bouteille après la toute première chanson.
L'ambiance est tout d'un coup plus rustique sur le site de Beauregard. Le blues des deux barbus, un vieux hobo suédois à la batterie, Steve à la guitare et à la voix, fait réagir le public comme des beaux diables qui crient, tapent dans leurs mains, rugissent. Du gros blues velu qui tache comme on l'aime.
Quand Steve ôte sa chemise à carreaux, on entend des "à poil". Vu déjà ceux qui lui tombent du menton, on se demande à quoi s' attendre s'il décide de retirer son Marcel et sa salopette de pêcheur de crevettes.
Il va chercher une spectatrice dans le public pour lui chanter une romance, mais la chanson tarde à commencer en raison d'un problème de jack sur la guitare. Le voilà obligé d'aller changer d'instrument, car même en versant du vin rouge dans la prise de la guitare, seuls des craquements en sortent. La bouteille a subi un sort en une heure de concert.
Pour finir, il reprend le classique "Baby please don't go" popularisé par Ray Charles, puis "Keepin' on, keepin' on" en jouant sur un banjo trafiqué à partir d'un carburateur de bagnole. Une ambiance de dingues, toutes les générations sont là et à fond pour ce blues à la Bo Diddley.
A la fin, malgré les rappels, Seasick Steve ne peut entamer un nouveau morceau. Alors il prend le micro : "On ne peut plus jouer mais on peut venir vous serrer la main". Et le vieux bluesman de descendre dans le crash barrier pour serrer les mains des premiers rangs. Pendant plus de cinq minutes, les spectateurs viendront le toucher et prendre des photos alors que le concert de Yodelice a déjà commencé en face.
Est-ce d'avoir vu Yodelice se la jouer tête-à-claque en interview un peu plus tôt dans la journée, ou est-ce le contraste entre sa pâle pop zepplinnienne et l'authenticité d'un Seasick Steve juste avant, je ne tiens même pas le temps d'une chanson devant le chanteur à minettes pseudo-gothique échappé d'une émission de télé réalité. Maxim Nucci, l'ex de Jennifer, peut faire croire qu'il fait désormais du rock mais c'est quand même peu crédible. Le produit est propre car il est entouré de musiciens de qualité, mais derrière l'emballage ça sent quand même un peu le produit frelaté.
De toute façon, c'est l'heure de la conférence de presse du festival. Les chiffres tombent : 80.000 spectateurs sur les trois jours plus la soirée du jeudi du concert de Stromae. Mieux que ne l'espéraient les organisateurs.
Quant aux actions menées par les intermittents du spectacle pour sensibiliser les spectateurs à leur situation, elles ont rencontré un accueil favorable de la part des festivaliers.
Agnes Obel était déjà venue à Beauregard trois ans avant et en gardait un excellent souvenir. C'était déjà sous le soleil, mais la formation a changé. Accompagnée cette fois de deux violoncellistes et d'un violon, elle au piano, le quatuor fonctionne à merveille.
Les chansons du premier et second album sont répartis de manière uniforme durant le set. Agnes en robe blanche, séduit sans effort un public acquis, ce qui est rare en festival. "Down by the river" sera néanmoins la chanson la plus acclamée par un public qui écoute religieusement la blonde danoise. Il y avait moins de magie que trois années auparavant sur cette même scène, mais la prestation de la scandinave restera un des moments forts de cette édition. A une des fenêtres du château de Beauregard, on aura aperçu Damon Albarn, lui aussi visiblement enthousiasmé par le concert d'Agnes Obel.
Breton apparaissent sur la scène B, très attendus par leur public.
Cependant, en raison d'une autorisation d'accès aux crash barriers limité à cinq photographes des médias partenaires du festival, je me vois contraint de me placer dans le public afin de pouvoir proposer quelques photos du concert de Damon Albarn à Froggy's Delight. A la lecture des tweets et en écoutant les conversations des festivaliers, on apprendra que le concert de Breton a soulevé l'enthousiasme des plus jeunes, les plus anciens ayant trouvé que le groupe n'amenaient pas grand-chose de neuf malgré l'énergie.
Damon Albarn a donné LE CONCERT de Beauregard 2014. Son nouvel album Everyday Robots est un bijou de proximité avec l'artiste, tout comme le concert qu'il a donné. Au piano ou à la guitare.
Devant à la voix, on le sent attentif généreux, à l'écoute. A l'écoute du public et de ses musiciens. Accompagné d'un clavier, un guitariste, un batteur, un bassiste, cinq choristes, un trompettiste, un rappeur, il donne tout ce qu'il a.
Seasick Steve est venu voir le concert, assis entre la scène et les crash barriers. "Out of time" de Blur, tout à fait dans l'esprit intimiste du nouvel album, fait frissonner les spectateurs.
Puis le voilà qui se lance dans un "Clint Eastwood" d'anthologie. La chanson de Gorillaz électrise le site. C'est la folie. Devant moi, Seasick Steve s'est levé et danse. Damon Albarn a offert une heure de bonheur à l'état pur aux festivaliers normands.
Après ça, difficile de se motiver pour le John Butler Trio dont le dernier album, Flesh and Blood, m'a pourtant convaincu. A force de courir d'une scène à l'autre, il est 22h30 et je n'ai pas encore pris ma première bière, ce qui est un crime de lèse-festival.
Je rattrape donc cet oubli et me place déjà pour les Pixies. De loin, le son du John Butler Trio me fait regretter de ne pas avoir plus d'énergie.
Entre le concert de décembre dernier à l'Olympia et le concert à Beauregard, on avait l'impression de deux groupes différents.
Frank Black s'est laissé pousser la barbe, ce qui lui donne un faux air de Pruitt Taylor Vince.
La nouvelle bassiste, Paz Lenchantin, assure. Elle se rapproche souvent de David Lovering à la batterie pour être bien en phase. Quant à la voix, plus aiguë que celle de Kim Deal, elle répond avec assurance aux cris de Frank Black.
Les Pixies jouent quasiment à la note près leurs morceaux comme sur disque, mais là Joey Santiago se lâche, fait traîner sa guitare sur la scène sans qu'on sache exactement pourquoi.
Le visage de Frank Black s'est même carrément illuminé d'un énorme sourire à l'adresse de Joey Santiago durant le concert, ce qui n'est pas dans les habitudes du personnage.
Là encore, comme avec Damon Albarn auparavant, c'est la générosité qui transforme ce concert en un grand moment.
Les nouvelles chansons, extraites de Indie Cindy, se glissent dans la setlist sans déranger. Mais ce sont bien entendu les standards "La isla de la encanta", "Tame", "Debaser", "Here Comes Your Man" et tous les autres qui font bouger le public massé devant la scène principale. Les Pixies ont été énormes.
En conclusion, on peut dire que le site, l'organisation (hormis pour l'accès aux crash barriers des photographes), l'ambiance et la programmation du festival sont vraiment les points forts de Beauregard. Cette édition 2014, qui semblait sur le papier moins pointue que celle de l'an passé, a réservé de grands, gros et beaux morceaux de vie et d'échange. Encore cette année, on repart en disant "Merci, John Beauregard ! Et à l'année prochaine." |