Arrivée tranquille sur le site de Beauregard. L'entrée au parking est fluide et les indications claires. Certes, il est encore tôt, mais celui qui a passé deux heures pour se garer dans un champ boueux alors qu'il entend les groupes qui jouent au loin saura que c'est plutôt bon signe.
Le festival normand a vu passer Stromae la veille. En raison des conditions météorologiques pas toujours clémentes des derniers jours, on attend de voir si le terrain n'a pas été réduit à néant par la horde des punks en short et chaussettes hautes, comme leur idole, et reprenant en chœur "Papaoutai". Mais l'organisation a tiré les leçons de l'édition de 2013 qui avait vu le parc de Beauregard transformé en annexe de Woodstock, et le site est tout à fait agréable.
Le temps de récupérer les pass et nous voici devant la scène B, près de l'entrée pour assister à la prestation de MmMmM. D'après le nom, il pourrait s'agir de la tribu Chédid au complet, parents-enfants-petits enfants tous réunis, mais il s'agit d'un groupe français qui chante dans diverses langues, de l'anglais, du français, de l'espagnol, de l'allemand.
Musicalement aussi, les influences se mélangent, pop festive, guitares rock 70's, rythmes africains, rap ou slow braguette... Arrivés avec des bruits de ronflements de moteurs, ils font tout de suite bouger et s'agiter le public qui encore peu nombreux ne demande qu'à faire la fête. Les attitudes parodiques qui rappellent les clowneries des airguitareux amusent. Aucun doute, à défaut d'avoir trouvé leur style, ils ne se prennent pas au sérieux. Ce n'est pas facile de débuter un festival. MmMmM y met du cœur et de la bonne humeur. Beauregard 2014 commence bien.
C'est ensuite Cats On Trees qui investit la grande scène. Quelques (très jeunes) personnes sont déjà collées aux barrières. A priori, ils ne sont pas venus assister par hasard à ce concert puisqu'ils reprennent les chansons en chœur. On pouvait craindre que la scène ne soit trop grande pour le groupe, ou les rangs encore désertés en cette fin de vendredi après-midi, mais l'échange entre le groupe et leur public est chaleureux.
Une batterie et un clavier peuvent suffire pour plaire au public qui tape aussitôt dans les mains. Leur récente présence parmi les nominés aux Victoires de la Musique montrent qu' il y a un engouement de la part des professionnels, mais que la reconnaissance publique est aussi au rendez-vous. "Il paraît qu'il y a un match de foot, mais on s' en fout puisque vous êtes là" lance Nina Goern. Si les chansons du duo toulousain charment, leur reprise de "Mad World" de Tears For Fears apparaît bien fade. Cependant, malgré cette erreur d'aiguillage, l'enthousiasme de la foule ne faiblit pas, qui chante volontiers l'inédit "Hoo" avec le groupe après que Nina ait expliqué quand entonner le refrain. Le groupe sort de scène heureux.
Autant souligner dès à présent les excellentes conditions techniques : des écrans de chaque côté des deux scènes, des enceintes réparties sur le terrain et six caméras pour filmer chaque scène. Tout le monde peut voir et écouter.
Beauregard soigne son public en offrant des infrastructures qui permettent la venue des familles et pas seulement un public composé d'adolescents et d'adultes venus descendre des bières.
C'est aussi cette ambiance qu'on apprécie ici par rapport à certains festivals qui sont devenus des usines à musique, plus que des endroits conviviaux où écouter les groupes qu'on a raté durant l'année.
The Dillinger Escape Plan est un groupe américain de noise qui n'hésite pas à agrémenter ses compositions de post-rock ou de free jazz. On pense à Morphine qui aurait subi un lifting, pour la tension qui se dégage, mais où les guitares saturées auraient remplacé le saxo.
One of us is the killer, leur dernier album, se savoure pleinement en live. La prestation est saturée à la testostérone. Même si les plans et les poses rock attendus sont là, ça bouillonne, ça hurle et ça chope les tripes avec les dents.
Le guitariste descend dans la fosse et joue debout porté par les mains des spectateurs des premiers rangs. Grosse prestation brutale et sans concession.
On enchaîne avec un autre combo américain, les texans de Midlake, certes plus connus que The Dillinger Escape Plan et qui méritent donc une programmation plus tardive, mais aussi beaucoup plus calmes que le groupe précédent.
Difficile alors de rentrer tout de suite dans l'ambiance. Antiphon, leur quatrième album, est moins spleenique que leurs précédents, mais Midlake ne s'est pas transformé d'un coup de baguette magique en une bande de joyeux drilles. Sous le ciel gris et bas normand, l'ambiance s'installe doucement. Les six musiciens gardent leurs lunettes de soleil malgré le temps. Mais comme ils se présentent en français et en souriant "Bonjour festival Beauregard. Nous sommes Midlake de Denton, Texas", les sourires apparaissent. La prestation est douce, agréable, mais peut-être un peu trop sage.
London Grammar est le Canada Dry des Cocteau Twins. Des nappes de synthé, un peu de guitare en apesanteur et surtout la voix de Hannah Reid. Mais autant la voix de Liz Fraser était émouvante par les petites fêlures qui révélaient une âme, autant chez les londoniens la voix est passée au prisme des émissions de téléréalité musicales. C'est beau, sans défaut, joliment lisse. Cela n'empêche pas leur formule de fonctionner et d'avoir ses adeptes.
Les deux garçons rentrent en premier, souriant, suivi de Hannah, un sage chignon sur le haut du crâne. La petite veste en jeans sied moins à un chant qui se souhaiterait spirituel que les longues toges blanches de Lisa Gerrard qui était sur cette même scène l'été précédent. Andy Warhol disait de sa sérigraphie des chaises électriques qu'il les vendrait si elles allaient avec la couleur des rideaux des acheteurs.
London Grammar a ce côté beau et confortable d'un intérieur bourgeois. Les tubes "If you wait" ou "Night Call" (la reprise de Kavinsky) passent en radio, sont remixés pour faire danser. La voix est magnifique mais il y a un aspect étrangement corseté à leur musique, même en live. Dommage de ne pas profiter de la scène pour se libérer de cette image trop lisse. Un rendez-vous réussi avec la plupart des spectateurs, mais raté pour moi.
Debbie Harry est une survivante. L'égérie punk du CBGB's a vu nombre de ses compères de jadis mourir. Ses tubes disco ou son français pourri sur "Denis" n'ont pas réussi à nous faire oublier à quel point elle a fait bouger les lignes en 78/79. Sans Blondie, point de Kim Wilde (d'accord, ce n'est pas le meilleur des arguments en sa faveur). Elle a failli finir assassinée par Ted Bundy (merci Gonzaï pour l'info).
Aujourd'hui elle est sexagénaire, Blondie n'a bien entendu plus le line-up original, mais l'irremplaçable Chris Stein et Clem Burke à la batterie. Mais ils reviennent, ont refait un album Ghosts of download, et on est d'accord, tout le monde s'en fout. Pourtant, les quelques extraits chantés ce soir, tels "The Rose By Any Name", sonnent agréablement. Comme tous, on attend les classiques. Pas de souci, des tubes à foison coulent dans les oreilles des spectateurs.
Le public, sur les premiers rangs fait le grand écart entre les fans de l'époque et les nouveaux bacheliers : "One way or another". "Hanging on the telephone". "Call me" (avec un plan guitare-clavier tout droit sorti d'une parodie des 80's au milieu)...
Sur "Rapture", on se souvient des débuts du rap. Oui, Blondie vivait à New York, ville des débuts du hip-hop et ils étaient des passeurs de cette culture américaine et urbaine, preuve en est leur reprise de "You Gotta Fight For Your Rights To Party" des Beastie Boys qui obtient un énorme succès. A la toute fin, nous aurons droit à "Atomic", puis "Heart Of Glass".
Alors certes, Mamie Harry ressemble maintenant à Michelle Torr, mais elle en a encore sous le capot.
IAM est passé à Beauregard pour sa tournée d'adieu. 25 années au service du rap français, et un nouvel album Arts Martiens. Ils ont joué pour un public essentiellement masculin et trentenaire. On m'a dit que c'était plutôt un bon concert, mais personnellement n'ayant jamais eu de coup de cœur pour ce groupe, ne connaissant donc même pas leurs classiques, je serais bien en peine de donner un avis. Je m'en abstiens donc.
Shaka Ponk. On ne présente plus le combo parisien révélé au public français par The Geeks and The Jerkin' Socks. Leur nouvel album, The White Pixel Ape, a beau bénéficier d'un soutien moins appuyé des radios et de la presse, leurs précédents tubes leur ont permis de trouver leur place dans le paysage rock hexagonal. De l'énergie bouillonnante pour un concert sans surprise, très chorégraphié afin de coller aux projections vidéo en fond de scène, mais qui ravit le public.
Deux ans après leur premier passage à Beauregard, le public normand a de nouveau répondu présent. C'est vrai que regarder le clip, "Qu'est-ce qui t'arrive encore ?" de Sahama suffit à porter un coup à la crédibilité pseudo rebelle du groupe, mais Shaka Ponk peut être vu comme un valeur sûre de festival avec du show bien fait, des lumières, un chanteur qui se jette dans le public, etc, etc. Ça ne fleure pas franchement l'authenticité, mais c'est un beau produit.
On s'est dit que dormir sous la pluie au son de Kavinsky, ce n'était pas vraiment la peine. Avant même qu'il ne nous l'enjoigne, nous étions retournés à la voiture pour "Drive". Donc pas non plus de danse de la pluie dans la boue au son de la house de Disclosure, dont je trouve l'album Settle inaudible, mais qui ont la réputation de donner des sets assez jouissifs. On dit au revoir et à demain, Beauregard ! |