Réalisé par Julie Lopes Curval. France. Comédie dramatique. 1h35 (Sortie le 13 août 2014). Avec Ana Girardot, Bastien Bouillon, Baptiste Lecaplain, Aurélia Petit, Sergi Lopez et India Hair.
Ce serait pour partie exagéré d'écrire tout de go que "Le beau monde" de Julia Lopes Curval illustre par l'exemple les théories de Pierre Bourdieu sur les distinctions sociales. Peut-être serait-il plus juste de rapprocher son film des romans autobiographiques d'Annie Ernaux tels que "La Place".
Alice, issue des "classes populaires" - on aurait jadis dit "classes laborieuses" quand elles n'étaient pas condamnées pour toujours au chômage et à la précarité - va croiser sur sa route artistique, Antoine, un produit sympathique de la grande bourgeoise, bien campé avec sa voix douce et son faux air flegmatique par Bastien Bouillon.
Cette rencontre va permettre à Alice d'accéder à un autre monde, celui où l'on peut vivre de son art et où les choses de l'esprit ont un sens et même une valeur financière. Mais, quand on vient d'où elle vient, cette accession se paie au prix fort, celui du douloureux "hiatus" de classe qui la sépare désormais du monde d'où elle vient et qui l'empêche d'être totalement à l'aise dans sa nouvelle condition.
Elle, qui vit au plus profond d'elle-même la découverte des "belles choses", va subir toute une série de petites humiliations, souffrir de ne pas maîtriser les codes de la bourgeoisie, et que dire, quand Antoine, sans "penser à mal", s'autorise à venir photographier sa mère dans son HLM ?
Mal à l'aise avec sa vie d'avant et peu sûre dans sa vie future, elle fera, au prix d'un amour impossible et au tarif de la solitude, un long chemin pour devenir ce qu'elle aspirait à être.
Julie Lopes Curial réussit avec justesse sa "comédie sociale". On est parfois près de Brisseau et heureusement toujours loin de Guédiguian.
Sa grande force tient dans une direction d'acteurs impeccable et un distribution parfaite. Tous, d'Aurélia Petit, qui peut donner enfin sa mesure dans le rôle de la mère d'Antoine, grande bourgeoise pleine de duplicité, à Sergi Lopez cachant derrière un grand calme une sensibilité à fleur de parfum, sont justes. On n'oubliera pas aussi la belle prestation d'India Hair, ancienne copine d'Alice qui la regarde devenir une étrangère.
Mention évidememment spéciale à Ana Girardot qui porte le film dans ces va-et-vient entre deux univers si proches géographiquement mais tellement lointains socialement. Elle suit les emportements du film sans finalement "trahir" sa classe. Qu'elle soit face à sa mère ou à son ancien petit ami, qu'elle soit filmée au "travail" en train d'habiter sa broderie, ou qu'elle oscille entre admiration et répulsion pour ce "beau monde" qui fait mine de la bien accueillir, elle impose sa jolie fossette, la grâce de son apprêt et une conviction intérieure éclatante.
Avec "Le beau monde" de Julie Lopes Curval, le cinéma français retrouve le chemin de l'analyse "sociale". Loin de toute psychologie à l'emporte-pièce et de toute sociologie de comptoir, un portrait de la France actuelle est proposé, avec des personnages vraisemblables et sincères. |