J Mascis. Les longs cheveux blancs, la lenteur des mouvements, un goût immodéré pour les vêtements amples couleur mauve profond ou vert pétard, et de grandes lunettes de vue fantaisie. Ce type là a beau avoir le look du vieux ricain un peu azimuté sur sa rocking chair observant les voitures passer depuis son frontyard, il n’en reste pas moins une légende.
Le terme n’est pas trop fort, en fait le gars a écrit les premières pages de l’indie / alternative rock pitchfork bla bla bla (vous voyez de quoi je veux parler). Il était là avant. La préhistoire quoi. Avec son groupe Dinosaur Jr., il a fini par acquérir un statut quasi déique. Bouddha tranquille du grunge, divinité païenne perchée sur son mur de son assourdissant. On ne remet pas en cause le Dalaï-Lama, on ne remet surtout pas en cause J Mascis et Dinosaur Jr., même si on sait la recette éprouvée. On se sent bien chez Dinosaur Jr. comme quand on va passer un dimanche après-midi chez ses grands-parents, ça sent un peu le renfermé, et le papier peint n’est plus de toute première fraîcheur, mais la nostalgie et le rustique agissent comme une puissante machine à remonter le temps. Soli surdoués de fender jazzmaster s’égrenant en vrac et attitude "slacker" d’origine. Nous sommes en 1988 et quelque part sous la couche sonore grasse et poisseuse, une mélodie catchy se fraye un chemin tant bien que mal jusqu’à nos synapses anesthésiées par tant de lourdeur et de bruit plein.
J Mascis en solo reste un monolithe. Personnage avare en mots et en gestes (cherchez quelques unes de ses interviews sur le web, on oscille entre Rencontre du troisième type et vrais moments de solitude pour le pauvre journaliste qui pourrait avoir l’impression de se retrouver sur le fil du rasoir face au sphinx), sa lente voix monocorde ne semble exister qu’en chanson. Ça fait presque 30 ans que les batteries sont épuisées et qu’on n'a pas changé les piles. J articule peu, chante lentement, très lentement (parfois aigu, très aigu aussi) et pas toujours juste non plus. Cette espèce de nonchalance, de décalage dans la parole et dans la musique n’est secouée et lacérée que par son jeu de guitare virtuose et héroïque. Ces cathédrales soniques qui sont une signature distinctive du son Dinosaur Jr. se retrouvent aussi parfois dans ses albums solo. Autant les guitares saturées se faisaient assez discrètes dans son oeuvre précédente Several Shades of Why, autant pour ce Tied To a Star, J se lâche un peu plus. On sent qu’il a du mal à s’en empêcher. Quand les arpèges joliment ciselés à la guitare acoustique ne lui suffisent plus, Mascis, gourmand, décoche quelques soli électriques à rallonge dont lui seul a le secret, notamment sur "Every Morning", "Trailing Off", ou "Better Plane".
On l’aura compris, J était déjà l’esprit saint de Dinosaur Jr., l’alpha et l’omega omniscient. Ce n’est pas pour rien que dans les années 90, il enregistra à lui tout seul trois ou quatre albums du groupe, ne se donnant même pas la peine de demander leurs avis à ses deux compères, qui de facto se retrouvèrent éjectés du projet sans que personne n’y trouve à redire. Ses albums solo ressemblent forcément à Dinosaur Jr. Voix plaintive et neurasthénique, songwriting génialement pop, riffs de guitare en mineur, arpèges et soli mélodiques intriqués en millefeuille labyrinthique. Et donc un peu plus d’électricité. Le connaisseur ne sera aucunement surpris, on ne va pas vous mentir.
Pourtant, Tied to a Star n’est pas pour autant anecdotique, on y déniche avec délectation quelques perles parfaitement polies par des mélodies imparables. On pense au remarquable "Wide Awake" dont le duo rêvé sur le papier avec Cat Power a fait les beaux jours de la blogosphère indie rock quelques semaines avant la sortie de l’album. Sans vouloir casser le délire, on se laisse en fait plus facilement envoûter par ses extraordinaires lignes de guitares folk alambiquées et son bridge plus power que pop, que par la participation assez effacée d’une Chan Marshall somme toute assez peu en voix.
Autre morceau de bravoure de cet album, "Heal the Star", fable urbaine un peu cryptique et désespérée qui débouche sur une longue outro acoustique aux sonorités hindou. Une position assez détonnante mais qui peut rappeler aux plus avertis l’album solo concept J and friends sing and chant for Amma qui reprenait certains standards de la musique traditionnelle indienne réadaptés par J Mascis, fervent dévot de religion hindouiste. Le titre instrumental "Drifter" sur la deuxième partie de l’album aboutit lui aussi à des arrangements orientaux qui viennent rapidement se substituer à la country traditionnelle qui lance le morceau. Si l’on retrouve les bonnes vieilles recettes qui marchent précédemment évoquées, on ne pourra pas enlever à Mascis qu’il aura au moins essayé de changer un peu de pot, ce qui n’était pas forcément gagné sur le papier vu le conservatisme habituel du bonhomme.
Au final, on écoutera ce nouvel album du divin chevelu comme on a écouté les précédents. Pour les mélodies chewing-gum qui se mâchent lentement, toujours lentement, le refrain de "And Then", imparable, en est le parfait exemple, et n’a pas besoin d’électricité pour se faire terriblement efficace. Pour ces arpèges de guitares magiques qui lézardent de partout tout du long de l’album. Pour ces histoires cryptiques d’amour perdu récitées par une voix toujours aussi fatiguée mais tellement familière. Là où Dinosaur Jr. enfouit avec force tous ses sentiments et recouvre toute sa fragilité sous une épaisse couche de bruit graisseux et fumant, J Mascis se débarrasse de sa mélasse grunge qui mijote depuis le fond des âges pour ne laisser que le cœur de ce qu’il sait délivrer.
Bonus : un trailer officiel pour l’album où on voit J sourire (et même rire à un moment, dingue !).
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