Il est 1h du matin, Cheveu vient de terminer un concert apocalyptique d’une violence incroyable. Après trois jours d’un festival qui ne nous aura rien épargné, sauf les grandes chaleurs, le public aura trouvé encore l’énergie de tanguer au rythme de la folie communicative du groupe français. Il faut dire que Cheveu ne s’économise pas et sa musique devient une claque, non un coup de poing. L’ambiance malsaine qui règne depuis le début de l’après-midi, les corps ivres, hagards qui traînent dans le fort de Saint-Père se transforment en marionnettes manipulées par l'électro punk du groupe français. Tout n’est plus que sauvagerie, férocité. On danse, on chaloupe. Les corps se cognent. On n’en attendait pas moins d’eux. Le tout est enrobé par l’humour au centième degré de David Lemoine. C’est totalement jubilatoire. Enorme. Impossible après d’aller écouter le Dj set de Jamie XX ou Todd Terje, véritable anachronisme tant la musique du norvégien correspond plus pour moi à la parfaite bande sonore d’une sieste arrosée au Campari face à une piscine.
Ici se termine cette édition 2014 de la Route du Rock. Je suis fatigué. Mes oreilles et mes jambes sont en miettes. Mes bottes me font mal. C’est le cœur et la tête pleine de souvenirs que je rejoins un parking enfin praticable. Les jours précédents, les parkings ressemblèrent au terrain d’épreuve du Paris-Dakar. Une pensée en signe de majeur dressé bien haut aux cinq connards sur le parking qui se sont bien foutu de moi quand ma voiture s’est embourbée. Arrivé sur mon lieu de villégiature, je préfère la plage à mon lit pour repenser à ces trois jours et au sourire de Rachel Goswell qui ne me quitte plus depuis le vendredi. Trois jours faits de plaisir, de pluie, de surprises, de boue, de superbes rencontres et surtout de musique.
Be Kind, rewind…
Jeudi 14 août 2014. 16h30. Il fait beau. Parce qu’après la pluie, le beau temps. C’est la première fois que je viens à la Route du Rock. Mais à force d’en entendre parler, j’ai l’impression de m’y sentir comme à la maison. La Route du Rock, c’est une grande et belle famille, une messe, presque un passage obligé quand on aime ce genre de musique. On m’avait prévenu, prends tes bottes. Le site n’est qu’un vaste marécage, et les multiples averses le transformeront en une sorte de mangrove bretonne. Qu’importe le temps, pourvu que l’on ait l’ivresse.
Il n’est jamais facile de jouer en premier dans un festival. Angel Olsen malgré les conditions climatiques et face à public plus ou moins clairsemé en fonction de la pluie assurera largement et nous montrera que lors de cette première journée, les plus beaux concerts auront lieu sur la petite scène. Sourire aux lèvres, serviette éponge sur la tête, radieuse, Angel Olsen aura été un véritable rayon de soleil. Nous succomberons donc au charme de cette musique folk oscillant entre introspection et moment plus rock minimaliste, assez proche des versions du disque. Un moment fragile et envoûtant.
Presque tout l’inverse de The War On Drugs. Ce n’est pas que l’on n’aime pas le classic rock de Lost In The Dream, le dernier album du groupe de Philadelphie, au contraire, mais là sur scène la sauce ne prend pas vraiment. Le public est mollasson (et le restera en partie tout du long du festival mais cela est un autre sujet…) et Adam Granduciel et ses musiciens semblent jouer avec des pincettes. Cela commence pas trop mal, c’est propre, plutôt joué et interprété correctement, mais petit à petit l’intérêt s’amincit, les titres semblent s’allonger et se ressembler jusqu’à l’ennui. Le son largement approximatif n’arrangeant strictement rien. On commence à bailler, même sur des titres comme "Red Eyes" et à se demander si l’appellation de Dire Straits de l’indé persiflée ici ou là n’est pas justifiée. Dommage.
Oui d’autant plus que Kurt Vile (et ses Violators, ancien camarade de jeu de Granduciel) ne fera pas beaucoup mieux. Pourtant, on l’attendait avec impatience. Trop timide, presque pataud, Kurt Vile commence plutôt mal son concert. On ne comprend plus grand-chose à son folk rock contemplatif et un poil psyché. Les guitares se prennent les pattes dans les solis, ratent "Waking On A Pretty Day". L’intensité est aussi plate que l’encéphalogramme de Nadine Morano. Une nouvelle fois, l’ennui pointe le bout de son nez. "Freak Train" ne change rien à l’affaire, ni "KV Crimes" ou "Girl Called Alex" d’ailleurs. La scène principale est bien trop grande pour lui et on se dit que sur la scène des remparts, il aurait été peut-être plus à son aise. Ah ! Adam Granduciel a rejoint le petit monde sur scène, mais tout cela reste aussi plat… On assiste au ballet du changement de guitares (entre électrique et acoustique) que Kurt Vile utilise pour chaque chanson, seul point amusant, c’est dire, du concert. Et puis Kurt Vile termine seul sur scène son concert et enfin on commence à entendre de la musique, enfin il se passe quelque chose… mais las, il est trop tard. Une drôle d’impression nous envahit. L’entrain des débuts a pris un sérieux coup dans l’aile. Les botes deviennent lourdes. Heureusement, il y a Real Estate.
Terminé la grise mine. Au loin (ou presque) la pluie. Tout cela est balayé d’une main de maître par la sunshine pop de Real Estate. Les étoiles brillent sous la maestria du groupe qui nous a délivré avec Atlas, l’un des meilleurs disques de cette année 2014. C'est simple, beau et foutrement efficace. Les américains, qui ne jouent pas en faisant la gueule ce qui nous change un peu, nous enveloppent de douceur, et font raisonner avec talent leur superbe pop mélodique. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas puisque c’est la première fois qu’on le voit sourire, oserais-je même s’émerveiller ? "Talking Backwards", "Easy", "April’s son" ou encore par exemple "Had To Hear" sont les premiers grands moments du festival, mais le concert dans son entier (et ce, malgré quelques problèmes de son et une guitare out) est une bulle d’oxygène et un véritable moment de bonheur. A la délicatesse devait suivre la furie.
C’est donc au tour des Thee oh Sees de nous en mettre plein les oreilles. Nouveau line up resserré en trio autour de John Dwyer pour ce qui semble être la dernière tournée du groupe. On ne peut attendre que du bon de ce groupe garage rock psyché à la discographie pléthorique et surtout comptant aussi peu de déchets. Pourtant à la fin, c’est avec un avis mitigé que l’on ressort du concert. Déjà à cause du son catastrophique qui transforme tout en magma sonore inaudible, à un Dwyer qui semble particulièrement agacé (on le comprend) et à un set trop vite expédié (40 minutes sèches) et dont on ne comprendra pas tout.
Pourtant, tout n’est pas à jeter loin de là ! Déjà le groupe dans son entier joue comme des dingues. Dwyer est une boule d’énergie mais les autres musiciens ne sont pas en reste. Ca cogne, ça électrise, c’est nerveux et brûlant à souhait. Le batteur frappe comme un dingo et le bassiste assure. Et Dwyer fait son Dwyer. Il se donne presque sans compter, sans temps mort ni respiration, hurle, malmène sa guitare. On enrage de ce son qui n’est pas à la hauteur de la musique du groupe, de ne pouvoir apprécier pleinement les bombes que sont "I Come From The Mountain", "Tunnel Time", "Tidal Wave", "Encrypted Bounce" ou "Dead Energy", et de ne rien comprendre à deux titres (inédits ou jam… ?).
On ira oublier cette semi déception avec la bande de branleurs de la Fat White Family pour un concert haut en couleur et une belle découverte. On assiste à un joyeux bordel organisé, à du rock branleur, massacré plutôt que joué, à un grand n’importe quoi mis en scène de main de maître par le très iguane Lias Saoudi. Cela n’a rien d’exceptionnel ni de très novateur, il y a de fortes chances que l’on ne parle plus du groupe dans 6 mois, mais les organisateurs ont eu l’intelligence de les booker maintenant. C’est fou fou et drôle, sale et méchant et assez efficace pour nous faire oublier la pluie et la boue. C’est déjà pas mal. "Is It Raining In Your Mouth" (d’occasion donc), "Touch The Leather" ou encore "Bomb Disneyland" deviennent alors des hymnes de rock malsain et crade comme il faut à ranger pourquoi pas entre The Cramps et The Fall.
Une heure du matin, j’ai passé l’âge de guincher en bottes dans la boue, désolé pour Caribou que j’écouterai de loin. A ce que j’entends, le set est particulièrement dansant, Dan Snaith maîtrisant particulièrement son sujet électro pop. Les nouveaux "Can’t Do Without You" ou "Our Love" s’harmonisent parfaitement avec les excellents titres que sont "Sun", "Odessa" ou "Bowls". En ce qui concerne "Darkside", l’écoute se fera d’encore plus loin, une dernière averse ayant raison de mes forces (on peut être né à Charleville-Mézières, à un moment trop de pluie tue la pluie….) et c’est en patinant et en jouant joyeusement (ou pas) à Hubert Auriol que je quitte le parking. Demain est un autre jour… |