Réalisé par Denis Gheerbrant. France. Documentaire. 1h10 (Sortie le 10 septembre 2014).
Décidément quand ça veut pas... Cette semaine, encore une mauvaise nouvelle pour le couple François et Manuel, qu'on qualifierait bien de Laurel et Hardy du "social"-libéralisme si on ne voulait pas faire de tort à deux génies du rire : une grève, en France, a réussi !
Oh ! Rassurons les grigous de l'orthodoxie financière, les résultats sonnants et trébuchants obtenus par les petites dames de toutes les couleurs qui travaillaient pour un sous-traitant du deuxième groupe hôtelier d'Europe dans un hôtel "Première classe" de Suresnes n'entraîneront pas une hausse des prix ni une inflation galopante.
Si ces femmes de chambres ou ces gouvernantes chargées de l'entretien des chambres de cet hôtel qui porte mal son nom se sont battues, c'était tout simplement pour se voir appliquer la convention collective que leur sous-patron et le fonds de pension qui gère la chaîne d'hôtels où elles s'abîment le dos ne trouvaient pas nécessaires de leur appliquer.
Aidées par les syndicats CGT et CNT de l'hôtellerie, elles ont donc franchi le pas et découvert un mot qui terrorise plus que l'État islamique les énarques et qu'ils n'ont plus jamais en bouche : "Grève".
Pendant un bon mois, elles sont restées devant leur lieu de travail, chantant ou lançant des slogans, toujours avec un franc sourire, qui cachaient, Monsieur François en aurait été le premier surpris, des dents éclatantes et acérées prêtes à mordre peut-être pour la première fois de leurs vies...
Denis Gheerbrant, connu pour sa somme marseillaise "La République Marseille", a suivi de bout en bout le conflit et n'a pas cherché à l'intellectualiser. Il reste à bonne distance, la juste distance, celle de la pudeur, et laisse même à un tiers, Hervé Pauchon de France-Inter, le loisir de poser les bonnes et aussi les pas très bonnes questions, à ses femmes de cœur plus que de mots.
La qualité de son documentaire vient de ce refus de faire de ce conflit spécifique un exemple qu'il faudrait théoriser pour que cent, mille grèves s'épanouissent dans le beau pays de France.
Rester concret, rester dans les faits, expliquer simplement les tenants et les aboutissants, ne pas chercher les moments forts, ne pas provoquer abusivement des images signifiantes, la liste serait longue pour recenser tout ce qui permet à Denis Gheerbrant de faire d' "On a grèvé" un modèle de documentaire sur un conflit social.
Ces soixantes dix minutes en compagnie d'Oulimata, Mariam, Géraldine, Fatoumata donneront la pêche à ceux qui sont en manque d'espoir et devraient faire aussi comprendre à ceux qui sont viscéralement antigrévistes qu'on ne peut pas tout accepter quand on n'a que ses bras comme force de travail.
"On a grèvé" de Denis Gheerbrant n'est pas un film de faux super-héros comme on en voit tant, mais de vraies femmes ordinaires comme on en voit si peu. |