C'est le jeune label de la Drôme, l'Objet Disque, qui édite donc le premier disque physique solo de Mocke, L'Anguille. Ceux qui étaient d'ailleurs allés écouter son récent album numérique, Sandwich Mostla Jojo Tape, en retrouveront sept extraits sur ce disque.
L'ouverture de la face A, le temps de trois chansons, permet de constater que ce projet s'éloigne quelque peu des albums que Mocke a pu coécrire en groupe, que ce soit avec Holden ou Midget!. Il y a déjà la forme du projet, instrumental, sans voix féminine pour accompagner la guitare, ce qui amène à une plus grande liberté dans la structure des morceaux qui ne suivent plus le format habituel d'une chanson. Ensuite, sur les quatorze titres qui composent le disque, seulement cinq dépassent la barre des trois minutes.
Sur ce disque, Mocke se présente plutôt comme un peintre musical que comme le guitariste doué, sensible et technique qu'on connaît pourtant à travers ses groupes, ou ses collaborations en tant que musicien avec Arlt ou Swann. Ainsi "Le légume mésopotamien" ou "L'ouvrier Flan" évoquent ce qu'Alfred Sisley aurait pu peindre s'il avait eu les thèmes d'inspiration du Douanier Rousseau. Le point est discret, le sujet gentiment fou, la lumière (l'émotion de l'instant) est plus importante que le sujet (la mélodie). Pendant ce temps, "Le chasseur français" se balade de bon matin à l'orée du bois, dans la lumière naissante, au son de la flûte et du basson.
Si dans "Ramos", l'inquiétude semble poindre et ramène alors l'auditeur vers l'univers surréaliste de Clovis Trouille, le temps redevient vite radieux jusqu'à la fin de cette face A, qui se termine par un repos bien mérité en savourant un "Poisson-chat frit".
L'Anguille est d'abord l'occasion de découvrir que l'univers musical de Mocke ne s'arrête pas au pop rock et à un style particulier, mais s' aventure aussi dans le jazz éthiopien, chez Yma Sumac ou encore Violeta Parra. On y apprend aussi que Mocke joue de plusieurs instruments puisque seulement trois musiciens interviennent sur trois des chansons de l'album. Parmi ceux-là, Claire, la seconde moitié de Midget!.
C'est justement par "Charité bien ordonnée commence par soi-même", sur laquelle elle intervient, que la face B débute. Une face B douce où l'ombre prend plus de place que la lumière. Ou peut-être est-ce, comme chez Soulages, de l'ombre, un noir, qui permet de mettre en relief la luminosité des morceaux. Seuls "Il est où, Droom?" et "Hank Williams s'adresse à la nation américaine" échappent à cette règle. Dans un cas on peut y voir la notion du rêve (Droom, comme dans "dream come true"), dans l'autre la référence au héros, thèmes porteurs d'espoir et aux rythmes plus affirmés.
L'Anguille est un disque atypique qui évite les étiquettes, les clichés, les classements faciles. Disque personnel de Mocke, oui certainement, mais on sait le musicien ouvert à bien d'autres horizons encore. Disque libre, aérien, sensible et anticonformiste, sans aucun doute, c'est ce qui en fait tout le sel et pousse l'auditeur à chaque fin de face à se lever pour retourner encore cette jolie galette noire, au rond central violet, jusqu'à commencer à l'entendre craquer, comme d'autres albums familiers de sa collection de vinyles.
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