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Myroslav Slaboshpytskiy  octobre 2014

Réalisé par Myroslav Slaboshpytskiy. Ukraine/Pays Bas. Drame. 2h12 (Sortie le 1er octobre 2014). Avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova, Alexander Dsiadevic, Ivan Tishko, Alexander Osadchiy et Alexander Sidelnikov.

En 2014, un consensus autour du genre du docu-fiction et du registre du réalisme social, du pathétique ou nihilisme, se dégage des distinctions distribuées par les jurys des satellites du Festival de Cannes.

Ainsi "Party Girl" réalisé par le jeune trio français Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis traitant d'une tranche de vie d'une hôtesse de bar confrontée au temps qui passe a été doublement récompensé par la Caméra d'or et le Prix d'ensemble du Festival Un certain regard.

Coup triple pour le réalisateur ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy qui a reçu les trois prix de la Semaine de la Critique (le Grand Prix Nespresso, le Prix Révélation France 4 et l’Aide Fondation Gan pour la diffusion) pour son premier long métrage intitulé "The Tribe" qui, contrairement à ce que suggère l'affiche du film, ne traite pas d'une histoire d'amour mais révèle la face cachée de la vie quotidienne dans une institution pour enfants sourds-muets.

A lire la plupart des critiques indiquant le choc, voire le traumatisme, causé par le visionnage de ce film, leurs auteurs vivaient sans doute dans le monde des Bisounours. En effet, ils semblent découvrir non seulement l'état de délabrement, de violence, de corruption et de délinquance qui règne dans les pays de l'ancienne URSS mais également celui de déréliction de ceux que nombre de reportages nomment "les enfants de l'oubli", les enfants abandonnés et maltraités qu'il s'agisse des orphelins ou des handicapés physiques ou mentaux.

Tourné avec de jeunes acteurs non professionnels atteints de surdité et dépourvu de sous-titre, ce qui, au demeurant, ressort à l'exercice stylistique, comme la structure du film qui privilégie les plans-séquences fixes du cinéma documentaire, ce n'est, en fait, nullement dirimant dès lors, qu'en l'espèce, le langage non verbal est d'autant plus explicite que les jeunes gens ne se livrent pas à des discussions intellectuelles ni à même à des dialogues soutenus, leurs "échanges" se limitant à des apostrophes gestuelles et des injonctions frénétiques.

Le film, qui repose sur l'argument fictionnel de "l'apprentissage" d'un adolescent atteint de surdité bien brave et innocent - au point de se faire prendre son plateau repas par un élève trisomique sans réagir - qui va se trouver confronté avec la dure loi de la tribu, immerge le spectateur au sein d'un internat "spécialisé" installé dans un établissement délabré

Mais le film ne dépeint pas la vie scolaire des élèves, à peine évoquée par le jour de la rentrée et sa directrice occupée par sa conversation avec un intriguant homme de l'extérieur, quelques vues de salle de classe vétustes avec leurs planches pédagogiques des années 1960 et le mémorable enseignement technologique, dispensé par l'homme à tout faire du collège, consistant à apprendre aux garçons les plus âgés la fabrication d'un marteau en bois.

En effet, il s'attache à montrer le revers d'une médaille, à la face déjà peu reluisante avec un personnel éducatif fantôme et son établissement-garage pour les enfants "laissés pour compte" qui n'a de scolaire que son nom, qu'est la vie parallèle, et essentiellement nocturne, d'une poignée d'élèves, dont, à défaut d'historicisation, l'origine et les circonstances qui ont conduit à leur placement en internat sont inconnues, laissés sans encadrement ni surveillance.

Enfin pas tout à fait car s'ils sont entraînés dans la voie de la délinquance, et d'une certaine façon dans la survie pour affronter le milieu hostile qui les attend à leur majorité, ce n'est pas spontanément sous l'impulsion d'un mauvais fonds congénital mais pilotés par des adultes, l'homme à tout faire de l'internat assurant la logistique et l'homme qui assure l'interface avec le monde extéireur, qui initient l'engrenage de la délinquance et organisent le crime en y transposant la structure pyramidale du gang mafieux.

Les jeunes garçons sont dressés à la rapine dans les trains sous couvert de vente caritative de peluches et les grands adolescents s'adonnent à des trafics divers et agrémentent leur ordinaire avec les boissons alcoolisées délestant avec une violence gratuite les clients à la sortie du supermarché.

Quant aux filles, elles sont, "naturellement", cornaquées pour la prostitution sur les aires de parking des camions de transports avant d'être "vendues" aux célibataires européens en mal de mariage appâtés par la docilité vantée des jeunes filles des pays de l'Est.

Pour tous l'avenir, si tant est qu'ils en aient un, est sombre. Peut-être pas totalement avec les scènes "amoureuses" entre le nouvel élève et une des filles prostituées. Mais Myroslav Slaboshpytskiy donne une fausse lueur d'espoir au spectateur. Car au terme d'une scène qui correspond aux fulgurances d'humour noir qui traversent le film et s'avère un dialogue de sourds, cette histoire est sans avenir.

Si Serguei (Grigoriy Fesenko front buté et force animale) est l'archétype du "client" énamouré qui veut sauver la prostituée en lui proposant une vie "normale", en l'occurrence à leur majorité, la jeune fille (Yana Novikova très convaincante) n'aspire qu'à quitter le pays pour l'eldorado européen.

Dans cette métaphore de la société ukrainienne doublée d'une peinture d'un gang de mineurs et des personnes atteintes de surdité qui sont faites de cette commune pâte humaine qui ne connaît, sous l'effet réflexe de la pulsion de survie, que la violence primitive comme réponse à l'épreuve d'un monde bestial, tout est glauque, sordide, brutal, violent et désespéré. Une réalité contemporaine, un simple mauvais moment à passer pour ceux qui la regarde dans leur fauteuil.

 

MM         
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