Réalisé par Frederick Wiseman. France/Etats-Unis/Grande Bretagne. Documentaire. 2h53 (Sortie le 8 octobre 2014).
Écrire que Fred Wiseman est sans doute le plus grand documentariste actuel ne devrait pas susciter beaucoup de contestation.
Depuis "Titicut Follies" en 1967, il a "tout" filmé de sa caméra experte et vagabonde, méticuleuse et à l'affût de tout détail signifiant.
"Tout", cela veut dire... tout ! De la prison au Crazy Horse, de Berkeley à Central Park, de la Comédie Française à une salle de boxe, du ballet de l'Opéra aux logements sociaux ou aux abattoirs.
D'abord préoccupé par les grandes institutions américaines, qu'il disséquait dans des films fleuves, Fred Wiseman, le temps passant, est devenu plus impressionniste dans son filmage et dans ses sujets.
Aujourd'hui, le voilà arrivé au musée... et quel musée !
En sortant de cette promenade de presque trois heures dans le grand musée londonien qu'est la National Gallery, on a tout de suite envie de filer au Louvre tant le travail de Fred Wiseman a pour première vertu de redonner le goût de voir les grandes toiles des grands maîtres.
C'est d'ailleurs, l'un des intérêts du film : il permet de voir, en creux, les différences entre la conception anglo-saxonne des musées et la manière française de montrer des tableaux.
A Londres, Wiseman filme des conférenciers cherchant à tenir en haleine le public, à lui apprendre quelque chose qu'il doit retenir de chaque tableau commenté. Pédagogie et vulgarisation sont de mises et les conférenciers de la National Gallery ne cherchent pas à prouver systématiquement, à l'inverse de leurs homologues parisiens, qu'ils sont diplômés en histoire de l'art.
Pour un cinéaste, une balade au musée c'est aussi une manière de voir le regard des spectateurs, ce regard qu'on ne peut filmer dans une salle obscure.
Wiseman aime regarder les regardeurs et en profite pour donner aux yeux de ses spectateurs des merveilles divinement éclairées. Rembrandt, Turner, Le Caravage occupent le cadre cinématographique et, pour une fois, l'oeil peut coller au tableau sans passer pour un hérétique et sans se faire réprimander par un gardien.
Les esprits chagrins trouveront peut-être que Fred Wiseman se la "coule douce" et ne série pas tous les problèmes inhérents à un musée. Ils pourront s'amuser à comparer avec "La Ville Louvre" de Nicolas Philibert, film plus rythmé, film plus enclin à recenser les choses marquantes et les petits faits inattendus qui ponctuaient les journées passées par le cinéaste au Louvre.
Au contraire, Fred Wiseman cherche à saisir des moments sans enjeux qui se répètent depuis toujours à la National Gallery. Il conçoit le musée comme un lieu préservé du monde extérieur, une espèce de pré-paradis non dit. Qu'il ait attendu d'avoir 84 ans pour filmer un musée doit avoir un sens, même s'il prétend qu'il s'agit d'un pur hasard.
S'attarder devant des tableaux considérés comme des chefs-d'oeuvre de l'humanité, les contempler dans la sérénité et le calme du musée, à l'heure où le monde s'enlaidit, n'est-ce pas pour un vieil homme qui a tout filmé une espèce de point final à un demi-siècle d'observation du genre humain ?
"National Gallery" de Fred Wiseman est un film élégant qui fait passer trois belles heures ailleurs. |