Comédie de Eugène Labiche, mise en scène de Yann Dacosta, avec Jean-Pascal Abribat, Pierre Delmotte, Pauline Denize, Pablo Elcoq, Hélène Francisci, Benjamin Guillard et Guillaume Marquet.
Tandis qu'une musique style "Underground londonienne" envahit la salle, le rideau s'ouvre sur une étrange boîte de nuit où les danseurs masqués évoquent un club quelque peu louche. Un moustachu en tenue de cow-boy visiblement éméché traverse la scène, un ours en peluche blanc à la main.
C'est ainsi que démarre le spectacle et déjà le public est subjugué par l'ambiance fantasmagorique qu'a choisi Yann Dacosta, soutenu par une scénographie hallucinante de Fabien Persil et William Defresne éclairée avec talent par Thierry Vareille.
La Compagnie Le Chat Foin propose un vrai univers qui nous embarque dans des brumes d'alcool, lendemain de fête douloureux pour Lenglumé, le maître de maison, qui n'a aucun souvenir de la soirée passée la veille et retrouve dans son lit un certain Mistingue, ami d'études et compagnon de beuverie. Les deux bourgeois n'en mènent pas large quand ils apprennent qu'un meurtre a été commis cette nuit et que tout porte à croire qu'ils en sont les coupables.
Pièce certainement à part dans l'oeuvre d'Eugène Labiche, "L'affaire de la rue de Lourcine" mêle le burlesque et l'angoisse et peut faire penser par moments à du Edgar Allan Poe, tant l'ambiance fantastique y est développée. Lenglumé pourrait être une sorte de Jack L'Eventreur qui ne se l'avoue pas.
C'est de la société du 19ème siècle que Labiche dresse le portrait et de ses bourgeois dont le paraître guide le comportement dans cette histoire cruelle et sombre qui en dit beaucoup sur les mœurs de l'époque.
Dans sa mise en scène en tous points excellente, Yann Dacosta installe sur scène deux formidables musiciens qui rythment le spectacle : Pauline Denize, violoniste impressionnante alterne discrétion et interventions décisives et Pablo Elcoq, qui chante d'une voix envoûtante, a composé l'univers musical décadent tendance Tom Waits qui correspond parfaitement au parti pris de mise en scène.
La distribution est également splendide. Benjamin Guillard est un Lenglumé fascinant qu'on ne parvient pas à cerner. Tour à tour naïf ou pervers, victime ou assassin en puissance, il brouille les pistes avec délectation.
L'autre compère c'est le non moins brillant Guillaume Marquet qui parvient à composer un personnage mémorable proche de la pantomime. La précision de son jeu fait mouche.
Enfin, Jean-Pascal Abribat passe maître en burlesque, Hélène Francisi est une Norine de tempérament aux contours flous et Pierre Delmotte compose un Justin étrange à la Tim Burton.
Tout ce petit monde (dans les superbes costumes de Morgane Mangard) est particulièrement à l'aise, chante et bouge (remarquable travail chorégraphique de Frédérike Unger) avec une belle cohésion pour donner à ce spectacle original et fort une rare perfection. On est sous le charme.
Magnifique esthétiquement et interprété par une distribution brillante idéalement dirigée, "L'affaire de la rue de Lourcine" est un vaudeville singulier et une formidable réussite qu'on ne peut pas rater. |