Réalisé par July Jung. Corée du Sud. Comédie dramatique. 1h51 (Sortie le 5 novembre 2014). Avec Doona Bae, Kim Sae-Ron, Song Sae-Byeok, Jang Hee-Jin, Sung-Geun Moon, Gong Myung, Jin-Goo Kim et Jin-woo Park.
July Jung intègre la nouvelle vague des jeunes réalisateurs sud-coréens avec un premier long métrage particulièrement réussi qui atteste d'une belle maturité filmique, tant par l'écriture et la pertinence du scénario, qui ne verse ni dans l'angélisme ni dans le jugement moral, que par sa maîtrise technique.
De plus, elle signe un film de facture impressionniste qui parvient à traiter de manière intelligente et sensible une complexe et délicate thématique janusienne, la perversion et la perversité infantile et, à raconter un fragment d'une histoire intime dont le dénouement n'est que la dernière phrase d'un chapitre qui ne laisse pas augurer du suivant, tout en abordant les épineux sujets sociétaux propres à la Corée du Sud.
Sous influence de la morale confucéenne, la société sud-coréenne foncièrement traditionaliste et conservatrice est une société sexiste, machiste, patriarcale et discriminante, de surcroît inféodée au sens de l'honneur dans son acception "asiatique", et donc à l'image sociale qui a pour corollaire l'ostracisme social qui s'applique non seulement à celui "qui a perdu la face" mais également aux victimes de crimes considérés comme honteux.
De plus, elle connaît la pratique généralisée de la violence, violences à l'école, violence conjugale et maltraitance infantile, et tient le record du monde de consommation d'alcool fort liée à une addiction elle aussi généralisée.
C'est dans ce contexte rapporté à l'échelle d'un microcosme provincial, que July Jung dévoile de manière puzzléique, que se déroule "A girl at my door".
Pour Yeong-nam, condamnée à un purgatoire administratif par voie de mutation d'office dans un petit village côtier, tout commence avec la silhouette d'une gamine accroupie en bordure de route que sa voiture éclabousse et dont elle entrevoit à peine le visage. Ainsi se croisent leurs destins. Ce qui suit va constituer une épreuve pour la première qui lui permettra d'affronter la stigmatisation collective en se dégageant d'une posture de victimisation, de faire face, et d'assumer ce qu'elle est et une chance de survivre et de se reconstruire pour l'autre.
Etrangère qui vient de la ville, femme célibataire peu loquace et nouveau chef de police qui, contrairement aux agents locaux, confinés dans leur bureau sauf appel d'urgence, quadrille les lieux en ve élo à toute heure du jour et de la nuit, entreprend de faire respecter la loi, la jeune femme cumule les comportements marginaux au regard de la norme nationale.
Elle va intriguer par son comportement solitaire, puis déranger en luttant contre les us locaux et les petits arrangements délictueux basés sur la loi du plus fort qui bafouent les droits de l'homme, qu'il s'agisse de la maltraitance infantile, du trafic d'ouvriers ou de l'esclavage moderne.
De quoi susciter la méfiance, puis l'animosité qui ne parvient pas à se matérialiser en raison de sa fonction. Et c'est son comportement qui va permettre le déclenchement de la "punition collective".
Celui ostensible tenant à la protection qu'elle apporte à la fillette, écolière malingre molestée par ses camarades d'école et érigée en souffre-douleur familial, maltraitée par son père et sa grand-mère, deux vociférants régulièrement abrutis par l'alcool, pour qui elle est le symbole de leur honte (l'abandon du domicile familial par la mère) qu'ils tentent de dissimuler en justifiant ce départ par un comportement dépravé, et celui découvert de son homosexualité.
Car pour intrinsèquement troublante et ambigüe que peut être la relation entre un adulte et un enfant, au demeurant à l'instar de toute relation humaine, et, en l'occurrence, une ambigüité qui est double et en miroir, celle-ci devient suspecte et pathogène dès qu'elle est vue à travers le prisme de la sexualité. Ainsi ce qui ressortit à une relation naturellement qualifiée de maternelle devient, en l'espèce, un détournement de mineure dès lors que l'homosexualité considérée comme une perversion dévoierait tout le comportement affectif.
Pour incarner ce duo féminin, July Jung a fait le choix d'une distribution judicieuse, dont rend compte la très belle et insondable image arrêtée du film retenue pour l'affiche, et assure une direction d'acteur émérite.
Ainsi par la qualité de son interprétation, Doona Bae qui semble d'une impassibilité presque psychotique et dont il faut saisir les plus imperceptibles manifestations gestuelles tels un nuage dans le regard, un geste de la main, un sourire esquissé, pour tenter d'appréhender son paysage mental, traduit à la perfection la dérive existentielle de la jeune femme et l'engrenage émotionnel dans lequel elle se trouve engagée.
Face à elle, la très jeune Kim Sae-Ron d'une beauté juvénile lumineuse, celle de l'adolescence avant le basculement dans l'âge adulte, est époustouflante dans une partition composite, oscillant constamment entre ange et démon et en perpétuelle évolution, qui soutient de manière subtile l'ambivalence quant à ce qu'elle investit dans sa protectrice - un réel sentiment filial envers un substitut maternel qui peut satisfaire son besoin de reconnaissance affective ou une simple émotion opportuniste engendrée par l'instinct de survie - tout en s'avérant d'une redoutable détermination.
Alors même qu'elle y instille des scènes déflagratoires de violence physique ou psychologique, la mise en scène de July Jung repose sur un parti pris esthétique de mélancolie, et de douceur contemplative.
Par ailleurs, si elle ne signe pas un manifeste politique frontal contre la société sud-coréenne, celle-ci est néanmoins présentée sans concession en toile de fond d'une histoire à triple rebondissement qui milite pour l’affirmation de soi ce qui est subversif dans un pays et une culture où l'individualisme n'a pas droit de cité. |