Réalisé par Janna Issabayeva. Kazakhstan. Drame. 1h17 (Sortie le 26 novembre 2014). Avec Dina Tukubaeva, Galina Pianova, Maria Nejentseva et Aidar Mukhametzhanov.
Ceux qui n'aiment pas le "mélo bressonien" ne prendront pas le train "Naguima".
Il faut d'emblée écarter l'argument gros comme une maison qui peut être employé contre le film de Janna Issabaeva : un film quasi-muet et quasi sans mouvements d'appareil, très découpé, à l'histoire univoque et à l'argument mince comme le destin joué d'avance d'une orpheline, est un vieux procédé, souvent employé, qui impressionne sur la pellicule toujours le même film. Un film qui ressemble peu ou prou à "Mouchette", ce double chef-d'oeuvre de Bernanos et de Bresson.
Ceux qui n'aiment pas diront qu'après "Mouchette" c'est bien inutile d'en revenir à ce paquet d'infini malheur. Et c'est là qu'ils auront tort : "Naguima" n'est pas "Mouchette" et surtout pas une "Mouchette" kazakhe.
Certes, le destin de cette orpheline est aussi affreux que celui de sa soeur en souffrances française, mais Janna Issabaeva le démultiplie en trois, le situe dans les faubourgs d'un Tiers-monde mondialisé, et le mal qui s'y lit n'a pas derrière lui deux mille de paysannerie mal christianisée.
Dans "Naguima", tout remonte à quelques décennies d'après communisme, on parle russe et les orphelines ne rêvent pas d'un autre monde où règnent les anges. Ici, Dieu n'ose même pas proposer ses services et l'indifférence humaine est partout présente, tempérée par quelques gestes désordonnés de fraternité inutile entre les plus pauvres.
"Naguima" de Janna Issabaeva accumule les destins qui viennent se briser contre des déterminismes trop forts. Faute de soins parce que faute de papiers, on peut mourir en couches. Faute d'argent, on peut se prostituer avec un grand cœur pur. Faute d'une vie facile, on peut rejeter l'enfant qu'on n'a pas désiré et le guider vers le précipice.
Janna Issabaeva a construit un bloc de dureté où l'amour ne pourra jamais pénétrer et la scène entre Naguima et sa mère retrouvée atteint des sommets sur l'échelle de la cruauté psychologique. Alors, quand un bébé surgit dans cet océan de noirceur n'est-il pas condamné à une vie gâchée comme les générations de vie dont il est issu ?
"Naguima" de Janna Issabaeva est un film qui va inexorablement vers une fin insupportable. Ceux qui parlent de mélo n'auront rien compris. Ceux qui n'en ont pas parlé encore moins.
Devant ces images finales qu'on voudrait nier et que l'on pourra reprocher à Janna Issabaeva d'autant plus qu'elle est une femme, il faudra admettre que l'on est devant quelque chose d'une force indéniable, d'une force dépassant l'effroi cinématographique.
Un mélo bressonien, n'en déplaise... |