Spectacle écrit et mis en scèe par Angélica Liddell, avec Joele Anastasi, Ugo Giacomazzi, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Julian Isenia, Lola Jiménez, Andrea Lanciotti, Angélica Liddell, Antonio L. Pedraza, Borja López, Emilio Marchese, Antonio Pauletta, Isaac Torres, Roberto de Sarno et Antonio Veneziano.
"You are my destiny", le dernier spectacle en date de la sulfureuse espagnole Angelica Liddell marque une inflexion radicale dans son théâtre autofictionnel et cathartique et elle vient l'annoncer in limine en racontant au public sa genèse vénitienne.
Venise était liée à un drame amoureux personnel qui l'avait conduit au bord du suicide, portée par un désir de mort, et sous-tendait son opus "La casa de la fuerza" qui exaltait la vengeance comme tentative de résilience de la douleur des femmes. Cinq ans après, le désir de vie est revenu et, à travers le mythe du viol de Lucrèce, elle prône le pardon des offenses car, dit-elle, "le temps du sacré est venu" et précise que "You are my destiny" est l’envers rédempteur de "La Maison de la force", c’est un baptême".
Sur le parvis rouge du Palais des Doges de Venise, avec sa façade sommairement reconstituée en décor de carton pâte, se déroulent une suite de tableaux qui reposent sur la force des images et l'hybridation de thématiques mystiques qui, dans un registre plus flamboyant et plus charnel, se rapproche de celui de Romeo Castellucci.
Angelica Liddell détourne l'histoire de Lucrèce, violée par un des fils du roi de Rome sous la menace de se voir accuser d'adultère avec un esclave, qui se suicide pour expier son déshonneur.
Elle substitue l'amour à la haine pour en faire une histoire d'amour, Lucrèce refusant que le viol soit un déshonneur et d'accéder à l'injonction d'une société archaïque qui fait de la victime une coupable et une putain soumise au principe de la double peine.
Officient sur scène deux Lucrèce (Angelica Liddell et Lola Jiménez), trois chanteurs ukrainiens, dix Tarquins, un petit homme au visage rouge (Fabián Augusto Gómez Bohórquez), dix jeunes garçons et celui qui est peut-être l'époux de Lucrèce et se déroulent, scandées par les chants séraphiques du groupe Free Voice, des scènes aux résonances bibliques tels Lucrèce devenue Marie-Madeleine nettoie le corps des hommes avec une serpillère érigée en suaire et la mise au tombeau des amants.
Et Angelica Liddell use de la prophétie d'Esaie sur la vigne du Seigneur pour son traditionnel insert performatif, qui annonce la queue de comète, car la virulence s'épuise et sa récurrente ingestion de bière tourne court car elle a bien du mal à en ingurgiter une bouteille d'un trait.
D'autres scènes restent hermétiques mais, avec l'hallucinante scène du viol sur le corps de Lucrère/Lola Jiménez, déclinée en dix stations de la douceur à la lubricité, Angelica Liddell prouve sa grande maîtrise de la dramaturgie du corps.
Et puis la grande novation réside dans le sourire qu'elle arbore lors sur l'air de la chanson "Gloria" qui libère la troupe dans une danse débridée. |