Réalisé par Dan Gilroy. Etats Unis. Thriller. 1h57 (Sortie le 26 novembre 2014). Avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo et Riz Ahmedet ill Paxton.
La fratrie Gilroy, Dan Gilroy au scénario et à la réalisation de son premier long métrage, et John Gilroy, au montage, frappe fort avec "Night Call" produit par...le scénariste et réalisateur Tony Gilroy.
Film à la croisée des genres, entre thriller et portrait d'un sociopathe, "Night Call" dont le titre original "Nightcrawler", équivalent de "maraudeur nocturne", annonce la couleur.
Il propose une immersion dans le Los Angeles superbement photographié de nuit par Robert Elswit dont les images, une field photography à la résonance hopperienne qui magnifie la ville endormie, une gare routière avec son alignement de cars rouges, un derrick qui inlassablement se prosterne à l'aube naissante, un bungalow éclairé, un motel glauque avec son enseigne au néon clignotant, scandent les virées nocturnes du personnage central.
Cette esthétique froide nonobstant la saturation des couleurs, colle avec le personnage central du film, un sociopathe parfaitement campé, sinon incarné, par Jake Gyllenhaal, implacable regard bleu et vide, visage aux traits en aplats et aux yeux globuleux qui évoquent les traits des personnages d'animation créés par Nick Park.
Car, dans ce film, point de psychologisme ni d'affect pour le singulier anti-héros dont rien ne sera révélé quant à son histoire et son passé ni même sa vie présente à peine entrevue avec son appartement-cellule anonyme où il surfe sur internet et regarde "Le bouffon du roi" un kitschissime film musical médiéval avec Danny Kaye qu ile fait rire, seul moment où il semble exprimer un sentiment.
Solitaire et introverti, Loo Bloom vit de la revente de métaux aux ferrailleurs mais il n'est pas un simple récupérateur, il prélève sur la bête en découpant les clôtures grillagées ou volant les plaques d'égout. Jusqu'au jour où il découvre le monde des reporters free-lance qui officient sur les scènes d'accident ou de crimes avant l'arrivée des secours pour rapporter les images choc qui feront la une des journaux matutinaux des chaines locales d'information.
Un boulot sans risque, il suffit d'un récepteur radio branché sur la fréquence de la police et d'un bon coup de volant pour arriver en premier sur les lieux, et qui rapporte gros. Lou Bloom apprend vite et, sans état d'âme ni scrupule, initie une spirale sanglante qui lui procure parfois, à lui mort au monde, d'orgasmiques décharges d'adrénaline.
Pour devenir le meilleur, car il aspire à la reconnaissance sociale, et ayant réussi à circonvenir une rédactrice en chef en perte de vitesse professionnelle (Rene Russo) qui, par ailleurs, ne s'embarrasse pas de déontologie, il ne se contente pas d'être un cameraman passif, commençant low tempo par scénariser l'événement, et sait se débarrasser de la concurrence. Ira-t-il jusqu'à créer l'événement ?
Alors certes la pratique de l'exploitation des faits divers sanglants avec les images choc n'est pas nouvelle puisque concomitante à la naissance de l'appareil photographique et de la caméra et elle n'est pas l'apanage de ceux que les journalistes de la presse institutionnalisée qualifient de "charognards" ni des gazettes à sensation ou de la "trash TV".
Mais, en l'espèce, elle ne constitue pas le coeur de cible du film car elle ne sert que de toile de fond à l'irrésistible ascension de Lou Bloom. Dan Gilroy signe un film noir dépourvu de manichéisme comme de sentence, dans lequel les personnages, tous cyniques et immoraux, sont le miroir d'une humanité blasée, foncièrement voyeuriste et toujours en quête d'émotions fortes qui pourraient lui faire sentir qu'elle est encore vivante.
Le montage efficace de John Gilroy rend parfaitement compte du comportement du personnage en action, tel un prédateur tapi dans l'ombre de la nuit qui attend le signal de localisation du gibier.
Et le spectateur est sidéré non seulement par le comportement de celui-ci, dont il est aisé de subodorer comme résultant de failles traumatiques, pour lesquelles toutefois aucune clé ne sera donnée, mais également par sa propre fascination pour cette terrible chasse aux images qui le colle au fauteuil comme il le serait sur le siège passager.