Comédie dramatique de Eugene O'Neill, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, avec Mélanie Thierry, Stanley Weber, Féodor Atkine et Charlotte Maury-Sentier.
Prix Nobel de littérature, père d'Oona, qu'il ne revît jamais après son mariage avec Charlie Chaplin, voilà ce qu'il reste plus ou moins dans la mémoire collective quand on évoque le nom d'Eugene O'Neill, auteur réaliste incarné par Jack Nicholson dans "Reds" le film de Warren Beatty, et dont les œuvres ne sont plus guère lues ou jouées.
Les cinéphiles se souviennent aussi que Greta Garbo incarna le personnage central de sa pièce "Anna Christie" dans le film de Clarence Brown, son premier film parlant.
C'est donc ce mélo maritime qu'ont ressuscité Jean-Louis Martinelli et Jean-Claude Carrière. Ce dernier a épuré ce drame en en faisant un affrontement intense entre Anna, son père Chris, et son soupirant, Matt. Mais ce trio est face à un adversaire redoutable, surhumain : la mer.
Comme Marius, le héros de la trilogie de Marcel Pagnol qui date de la même époque, le père d'Anna est attiré, hypnotisé, par cette maîtresse cruelle, plus envoûtante que tout, au point d'en oublier, à la mort de sa femme, l'existence de sa fille unique, Anna. Et ce qui devait arriver, advint : celle-ci, qu'il confia ou plutôt abandonna à des membres lointains de sa famille peu scrupuleux, prit le mauvais chemin, celui qui conduit à une mauvaise vie.
Luttant pour s'en extraire, Anna revient à New York pour retrouver son père. Mais la fatalité, évidemment la poursuit : elle tombe amoureux d'un marin qui veut l'épouser et doit lui avouer son passé...
Ce qui, aujourd'hui, ne poserait pas trop de problème, est en ces temps puritains où tout baigne dans un lourd climat de culpabilité judéo-chrétienne, un obstacle mélodramatique majeur pour des personnages frustes, monolithiques, "bruts de décoffrage".
Jean-Claude Carrière a bien compris que pour donner un sens moderne à ce drame, il fallait mettre l'accent sur ses personnages plutôt que sur son intrigue. Ainsi, il insiste sur le père d'Anna, parfaitement incarné par Féodor Atkine, alcoolique en plein remords, cherchant à gagner l'amour de cette fille qu'il n'a jamais connu.
Face à lui, Mélanie Thierry déploie un caractère bien trempé. Avec une pointe de gouaille, une belle énergie, un courage sans borne, elle emporte la conviction et domine ses deux "mâles" durs dans leurs corps mais dont les esprits sont amollis par la vie en mer.
Peut-être que Stanley Weber, trop beau, trop lisse, n'est pas assez cabossé pour renvoyer l'image d'un jeune marin totalement désemparé quand il apprend que celle qu'il aime est pareille à ces femmes qu'il possède dans chaque port.
Pourtant, le trio fonctionne et fait oublier un canevas narratif trivial. En se gardant de toute grandiloquence dans sa mise en scène, Jean-Louis Martinelli, avec en fond de scène une toile peinte évoquant le port de New York et ses gratte-ciels, travaille avec une simplicité presque ascétique cette histoire populaire.
Avec Jean-Claude Carrière, il cherche à travailler autant les cœurs que les âmes et y parvient dans une scène finale elliptique où il sait provoquer une belle émotion en se défiant du pathos partout présent dans ce mélo daté. |