Comédie dramatique de Robin Maugham, mise en scène de Thierry Harcourt, avec Maxime d'Aboville, Roxane Bret, Xavier Lafitte, Adrien Melin et Alexie Ribes.
Dans la mémoire des uns, il y a le film culte de Joseph Losey écrit avec Harold Pinter et interprété par Dirk Bogarde ; dans l'imagination des autres, il y a un titre qui respire l'Angleterre d'avant les Beatles et de Viviane Westwood.
Dans les deux cas, il y a le sentiment que ce serait un pari fou pour un Français d'adapter "The Servant", cette œuvre trop anglaise, trop ancrée dans l'époque des "young angry men" et bien loin de l'époque Hollande-Cameron.
Et pourtant, Thierry Harcourt y est parvenu avec une aisance de gentleman pour proposer un spectacle alerte, divertissant et surtout jamais "à la manière de". Il a d'abord su s'émanciper des grands noms qui sont accolés à "The Servant".
Il n'a pas cherché à tout prix à recréer la dimension sulfureuse qu'en 1960 Losey et Pinter avaient introduite dans ce récit, à une époque où l'homosexualité était encore un délit outre-manche. De même, s'il flotte encore un certain mystère sur ce qui peut rendre électives les affinités entre l'aristocratique Tony et son domestique Barrett, la version de Thierry Harcourt n'a pas besoin d'en exagérer l'absurdité.
Il faut aussi mettre à son crédit de ne pas avoir voulu à tout prix "faire anglais". Les décors de Sophie Jacob et les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz sont plus dans l'évocation, dans l'ambiance d'un Londres éternellement dans la deuxième moitié du vingtième siècle que dans l'imitation et la reproduction.
Quant à son propos et à sa modernité, il est contenu dans une réplique de Richard, l'ami de Tony, qui s'étonne qu'à l'époque où tout le monde a des femmes de ménage, celui-ci a préféré avoir un domestique. C'est donc à cause d'une idée bizarre, totalement inadaptée au monde d'aujourd'hui, que tout s'enchaîne : l'aberrant aboutit à l'étrange.
Barrett n'est plus un inquiétant personnage, cynique et revanchard, qui veut sciemment renverser l'ordre social et Tony un désoeuvré soumis adepte de la "servitude volontaire" du maître à son esclave. Ce sont maintenant tous deux des êtres inadaptés à l'ère post-industrielle, finalement heureux de s'être trouvés pour vivre ensemble une décadence joyeuse où l'avenir n'a plus aucune importance si l'on en jouit sans entraves.
La grande réussite de cette adaptation théâtrale du roman de Robin Maugham, neveu de Somerset, est de s'être débarrassé de tout puritanisme britannique.
Maxime d'Aboville et Xavier Lafitte ont construit deux personnages en perpétuelle évolution et s'amusent à tromper leur monde : c'est au bout du compte, une comédie que ces excellents comédiens, aidées par la pétillante Roxane Bret et par les finement classiques Adrien Melin et Alexie Ribes, livrent à des spectateurs fort heureux que ce "Servant" ne soit pas le pensum que l'on aurait pu craindre. |