A l'ère du crowdfunding, des sorties d'albums en numérique avant la version physique, voire sans aucune version physique du tout, il devient compliqué autant qu'un peu dérisoire de savoir quand un disque sort réellement.
L'avantage induit est que cela permet aux chroniqueurs d'être un peu moins dans l'urgence de chroniquer un disque à tout prix sa veille de sa commercialisation sous peine que tout le monde passe à autre chose le lendemain.
Loin de moi cependant l'idée de chercher dans ce préambule une excuse pour ne pas avoir parlé plus tôt de Pain-Noir. Mais il n'est jamais trop tard pour vous faire découvrir de belles choses et l'album est enfin disponible en vinyle. Deux bonnes raisons donc de redécouvrir ce premier disque de François-Régis Croisier sous ce nouveau pseudonyme, donnant aussi son titre à l'album qui a déjà bien occupé nos oreilles fin 2014.
De son ancienne entité, St. Augustine, Croisier a gardé ses ancrages folk, mais le grand changement vient des textes, totalement en français désormais. Un français simple et élégant. Des textes pleins de nuances, ne venant jamais brusquer ou étouffer la mélodie, pas plus que l'inverse. Des textes poétiques qui gardent toujours un pied sur terre, des textes comme autant de touches de pinceaux sur une toile. Chacun a sa place pour donner à l'auditeur une vue d'ensemble imprenable tout en conservant le sens du détail. Un mélange impossible entre impressionnisme et naturalisme.
Pain-Noir est un disque qui s'écoute comme on écoute un conte. La musique vous enveloppe, vous transporte, tout comme les illustrations sonores de "La retenue" qui croisent du côté de Microfilm tandis que le texte vient se glisser dans ses mailles là, porté par la voix profonde de François-Régis Croisier. Profonde mais sans aucun rapport avec un crooner mécanique, calibré pour faire chavirer les coeurs chez la gente féminine.
C'est une voix profonde mais fragile, sur le fil. Avec la profondeur émotionnelle d'un chanteur qui balance ce qu'il a sur le coeur, dans les tripes (et que la forme ne vous laisse surtout pas croire le contraire, il est certains chanteurs de Doom metal qui n'ont pas autant de coeur à l'ouvrage), plutôt que de se formaliser avec ce qu'il est habituel de faire ou ne pas faire.
Le résultat de ce travail d'artisan est à la hauteur. De St. Augustine et son joli folk à l'américaine, il ne reste aujourd'hui qu'un vieux cocon abandonné dans une forêt du Puy-de-Dôme. Le papillon Pain-Noir est plus coloré qu'il n'en a l'air, tout en nuance, de gris et de pastels. Un travail abouti d'un artiste qui a trouvé sa voie et qui, en ayant eu le courage et le talent de franchir le cap de l'anglais vers le français, a fait naître un grand auteur qui ne devrait, souhaitons-le, ne pas en rester là.
Car de ce pain là, on en fera sans lassitude notre quotidien.
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