Comédie dramatique de Ödön von Horváth, mise en scène Jacques Osinski, avec Caroline Chaniolleau, Noémie Develay-Ressiguier, Jean-Claude Frissung, Delphine Hecquet, Agathe Le Bourdonnec, Alice Le Strat et Alexandre Steiger.
Avec "Don Juan revient de guerre" écrit en 1937, le dramaturge Ödön von Horváth livre sa version du mythe de Don Juan revu à travers le prisme de sa thématique récurrente de l'errance dans un monde en crise.
Après l'armistice qui mit fin à la "Grande Guerre", Don Juan, démobilisé, n'a plus à défier la mort puisqu'il a vu son vrai visage, celui de la boucherie que fut la Première guerre mondiale, ni à craindre la vengeance du Commandeur, en l'espèce représenté par un bonhomme de neige, puisqu'il est déjà mort.
Par ailleurs, il n'est pas un survivant héroïcisé mais un soldat anonyme atteint d'un traumatisme de guerre, une névrose dont la composante est le freudien "éternel retour au même" nourri par la pulsion de mort, qui espère retrouver la fiancée trahie et abandonnée le jour des noces.
Cette quête, qui peut laisser accroire à un désir ulyssien de retourner "plein d'usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge", revêt, en l'espèce, le caractère d'une résilience rendue impossible par le décès de le jeune fille et la forme d'un long périple dans un monde de femmes, la guerre ayant décimé la gent masculine, pour lesquelles l'amour et l'homme ne représentent plus le but ultime.
Cette partition pour "Don Juan et 35 femmes" présente une structure atypique car composée de micro scènes, de surcroît ambivalentes, qui signifient l'état du monde de l'époque sous forme de miniatures acerbes ainsi que le paysage mental de Don Juan pour qui ces femmes ne représentent que des diffractions des figures féminines qui ont traversé sa vie et, peut-être, de la femme perdue.
Ce qui engendre un défi tant de mise en scène, d'autant que Don Juan est un personnage quasi mutique et que tous les personnages féminins, jamais nommés, ne sont différenciés que par leur fonction et leur affiliation à la typologie des tempéraments, que scénographique en raison de la multiplicité des lieux, que relève Jacques Osinski et sa Compagnie L'Auroe Boréale.
Christophe Ouvrard a conçu un dispositif sobre en divisant le plateau en deux espaces polysémiques, le premier, nu en front de scène, et derrière un rideau, deux chambres, l'ensemble évoquant une scène de théâtre qui, nonobstant la présence d'éléments réalistes, introduit une judicieuse distanciation.
Le travail de Jacques Osinski est d'une exigence exemplaire dans l'application de ses fondamentaux que sont la direction d'acteur rigoureuse, la mise en scène exemplaire et le mid-tempo, qui, en l'espèce et nonobstant l'enchaînement rapide des tableaux, crée l'illusion d'une lenteur mélancolique qui sied à ce qui pourrait être considéré comme une divagation plus fantasmée que réelle.
Alexandre Steiger campe un Don Juan souffreteux et apathique ne quittant jamais sa capote militaire, mais dont la présence même fantomatique accroche le regard des femmes interprétées avec justesse par Caroline Chaniolleau, Noémie Develay-Ressiguier, Delphine Hecquet, Agathe Le Bourdonnec, Alice Le Strat et, dans deux belles compositions, Jean-Claude Frissung. |