Drame de Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, mise en scène de Marc Paquien, avec Anouk Grinberg et Hervé Briaux.
L'histoire littéraire retient surtout de Villiers de l'Isle-Adam ses "Contes Cruels", modèles de concision où le fantastique naît de la cruauté humaine.
En découvrant son théâtre, avec "La Révolte", pièce de 1870, donc antérieure à l'écriture de ses Contes, le lecteur coutumier de Villiers aura l'impression d'y trouver la même matière et la même manière : des sentiments exacerbés posés dans un climat quasi onirique.
En effet, quand débute "La Révolte", Élisabeth, à la lueur d'une lampe, tient sa comptabilité, assise à une grande table, dans la pénombre d'une grande pièce où ne sont disposés que quelques fauteuils ou chaises. Félix, son mari, cigare au bec, vient l'entretenir des comptes.
Il est minuit passé, heure où dans les œuvres fantastiques, les apparences se transforment. Ici, les comptes vont prendre soudain la forme d'un règlement de comptes, la femme soumise celle d'une femme libre. Seuls, les deux protagonistes sont face à leur vraie nature : le mari, bourgeois, repu, infatué dans son bon droit de dominant, la femme, asservi par son travail comptable, ses devoirs d'épouse et de mère.
Mais Villiers de l'Isle-Adam, pourtant peu progressiste politiquement, a fait d'elle un personnage plus complexe, plus "intelligent" que celui de son mari.
Mariée depuis quatre ans avec Félix, elle est parvenue à quadrupler sa fortune grâce à sa science des chiffres. C'est là que le bât blesse : au fond, elle ne s'est pas qu'asservie à un homme plus âgé qu'elle, elle s'est aussi soumise volontairement à ses affaires, à son mode de vie. Que cherchait-elle ? Sans doute essentiellement à exister. Loin de Villiers, le réactionnaire, l'idée que la femme puisse avoir déjà l'idée de s'émanciper des liens sacrés du mariage...
D'ailleurs, quand elle se "révolte", et qu'elle part, elle ne développe pas un raisonnement "féministe". Elle n'aspire qu'à un repos salutaire, à une respiration solitaire. Son mari n'y verra que de l'infantilisme, un délire poétique dangereux, qui lui fera dire cette phrase, illustrant parfaitement la qualité du texte : "tant qu'il y aura de la "poésie", les gens honnêtes n'auront pas la vie sauve".
Au final, "La Révolte" de Villiers n'est pas sans rapport avec "La Danse de mort" de Strindberg. En tout cas, c'est une pièce d'une modernité rare dans l'écriture comme dans les sentiments et les arguments des deux adversaires.
Dans le rôle écrasant d’Élisabeth, Anouk Grinberg est à son meilleur. Elle enchaîne les reproches et les espérances, frôle le triomphe, esquive la défaite et crée un personnage de femme au charisme étonnant, comprenant qu'être libre ce n'est pas seulement quitter un homme, mais vaincre la fatalité du déterminisme social et sexuel.
Son partenaire, Hervé Briaux, l'aide à composer son rôle, en acceptant d'être un peu en retrait. Alors que son personnage pourrait s'en sortir en jouant les "goguenards" à la Jean-Pierre Marielle, il préfère, en bon "sparring-partner", incarner le cynisme du dominant masculin.
Marc Paquien, dans une mise en scène qui ne cherche pas à être voyante, sert le texte et met les acteurs dans de bonnes conditions pour en exprimer la substance. Avec un simple drapé de soie vert sombre en arrière-plan, Gérard Didier délimite astucieusement l'espace où s'affronte Elisabeth et Félix.
Quelques bruits et quelques musiques répertoriés par Xavier Jacquot pour l'ambiance fantastique, quelques jeux de lumière subtils créés par Dominique Bruguière pour décoller du réalisme, et l'affaire est entendue : "La Révolte" proposée par Marc Paquien est une des vraies surprises de la rentrée théâtrale qu'il ne faut pas rater. |