Comédie dramatique de Nis-Momme Stockmann, mise en scène de Olivier Martinaud, avec Daniel Delabesse et Laurent Sauvage.
Dédiée à la mise en scène de textes contemporains inédits, la Compagnie Garçon pressé propose avec "Les inquiets et les brutes" de faire découvrir au public français le jeune dramaturge allemand, au milieu de la trentaine, Nis-Momme Stockmann.
Si les thématiques abordées - la mort du père, la rivalité fraternelle, la pathologie familiale et le sens de la vie, celle-ci étant définie par son antithèse qu'est la mort - ne sont pas nouvelles, en revanche, leur traitement comme la construction dramatique s'avèrent d'autant plus atypiques que la partition se révèle métamorphique.
Point de phase d'exposition ni d'historicisation, Nis-Momme Stockmann attaque directement le vif du sujet (sic), en l'occurrence avec un cadavre et un ton burlesque qui prête au rire : sans affect apparent, deux frères sont, à l'instar de la poule qui a trouvé une fourchette, bien embarrassés face au corps de leur père mort seul, assis dans son fauteuil, baignant dans es excréments et grignoté par son chat.
Si le cadet réagit spontanément de manière rationnelle en vue de l'inhumation, l'aîné, soucieux du regard des autres miroir de sa culpabilité, impose de procéder au préalable à une mise en scène qui effacerait l'indignité de cette mort dans l'abandon des siens.
Commence alors un huis-clos violent et éprouvant ressortissant tant au psychodrame qu'à la catharsis onirique et à la tentative de résilience, qui, usant d'ellipses et de bribes de révélation, laisse percevoir le lourd contentieux qui existait entre le père et ses fils, mais également entre les frères ennemis, et qui a fait d'eux des êtres à l'humanité broyée.
La radicalité du texte impose au spectateur une écoute non seulement attentive mais réflexive car la situation de domination fraternelle héritée de l'enfance va se décliner et s'inverser au cours d'une confrontation existentielle à la dimension philosophique.
La scénographie de Charles Chauvet vise à restituer la simplicité rudimentaire du lieu de vie d'une personne âgée de condition modeste, et, à la mise en scène, Olivier Martinaud se concentre sur la direction d'acteur de deux comédiens émérites. Car il faut "en avoir sous la semelle" pour se colleter et interpréter une telle partition constituée d'ellipses et de changement de registres et qui sort les squelettes du placard et ne se cale pas sur une pensée bienpensante manichéiste..
Buté, regard fuyant, corps ramassé prêt à l'attaque, imbu de la supériorité dont il s'est auto-investi, petit et râblé, Daniel Delabesse campe efficacement l'aîné. L'abêti et l'abruti, c'est lui et non le cadet à l'allure de souffre-douleur, au long corps chancelant et au regard de voyant qui semble déjà avoir traversé le miroir, incarné par Laurent Sauvage.
Habitée, la prestation de Laurent Sauvage, sur lequel repose la dérive en forme de plaidoyer existentiel qui dépasse l'anecdotisme d'une situation pour devenir questionnement universel, est exceptionnelle. |