Tragédie de Sophocle, mise en scène de Ivo van Hove, avec Juliette Binoche, Obi Abili, Kirsty Bushell, Samuel Edward-Cook, Finbar Lynch, Patrick O’Kane et Kathryn Pogson.
Un metteur en scène belge, une star française, des comédiens britanniques et un drame antique grec, si la version d'Antigone proposée par Ivo van Hove était un film, on la qualifierait de "pudding européen" et l'on s'attendrait au pire.
Le théâtre, moins habitué à ces productions internationales où l'on cherche plus la rentabilité que la créativité, souffre moins de ces a priori, mais la vision de cette "Antigone" contribuera peut-être à l'adoption de la même formule péjorative. Si tout commence par un bel envol de papiers sous l'effet d'une soufflerie, cela, hélas, ne communiquera aucun souffle à la tragédie de Sophocle.
Juliette Binoche, tout en noir, très concernée dans une saine colère, s'apitoie sur le sort de son frère mort à qui le nouveau maître de Thèbes refuse toute sépulture. L'anglais de Juliette est correct, "fluent", mieux que scolaire mais, en revanche, il est dépourvu de toute musicalité, ne laisse passer aucune subtilité dans son expression.
En cela, elle est à l'unisson de ses partenaires anglo-saxons. Seul Créon, joué par Patrick O'Kane, tente parfois le "monologue shakespearien" tempéré par des murmures directement sortis de ses prestations dans la célébrissime série "Games of Thrones".
Pas de folie, pas de démesure et de déraison, ni de grandiloquence dans cette tragédie grecque jouée en costume cravate. Une fois de plus, on a l'impression que les acteurs britanniques, tétanisés par la tragédie shakespearienne, ne sont pas faits pour les classiques antiques et l'on se dit qu'Ivo van Hove eût mieux fait de passer par le français pour retrouver la force du combat d'une femme seule, déchue, contre l'arbitraire d'un pouvoir humain qui défie désormais les Dieux.
Ici, on aura de la peine à comprendre qu'Antigone raconte un moment-clé de l'histoire du monde, celui où la loi divine n'a plus lieu d'être et qu'elle doit s'effacer devant la loi incarnée par celui qui détient le pouvoir temporel. Antigone qui s'en réclame est donc vouée aux poubelles de l'histoire et pas question pour elle de s'en remettre alors à une loi morale transcendante qui s'opposerait à la loi injuste.
N'ayant pas en tête, les problématiques de Sophocle, et ne leur ayant substitué que des évidences médiatiques, Ivo van Hove est donc ailleurs, dans un simulacre déployant ses gros moyens pour occuper l'espace. On pourra ainsi apprécier le travail de Jan Versweyveld qui a conçu un mur vidéo aux personnages floutés avec en son centre un disque solaire ou lunaire d'une belle intensité lumineuse.
Mais Créon n'est pas Akhénaton et les Grecs, panthéistes, pas encore sur la voie du monothéisme. Dès lors, il s'agit bien d'un "pudding européen" où tout se répand dans la gratuité et peut s'achever, comme tant d'autres spectacles, sur du Lou Reed période Velvet Underground.
Ceux qui aimeront prendront le train du délire pour la sublime prestation de Juliette Binoche, les autres resteront perplexes et s'effraieront que ce genre de projets conçus pour tourner dans toutes les capitales européennes ne soient l'avenir du théâtre subventionné. |