Comédie dramatique écrite et mise en scène par Alix Fournier-Pittaluga, avec Noémie Bianco, Simon Bonnel, Sophie Ricci, Loris Verrecchia et la participation de Bertrand Poncet.
Avec "Welcome to The Future", le futur n'a même pas une décennie d'avance. En 2024, cette émission de télé-réalité au titre orwellien prétendra envoyer sur Mars, et si possible sans retour, une dizaine de candidats prêts à tout pour une nouvelle vie dans un ailleurs galactique.
Bien sûr, il y aura des réticents et des résistants, à l'image de ce quatuor d'amis encore enfermés dans les valeurs et des pratiques du siècle d'avant, comme celle de se retrouver dans des pique-nique fraternels. Et pourtant, à la surprise des trois autres, l'un de ces mousquetaires de l'ère de la décroissance et du réchauffement climatique, voudra prendre son billet pour ces étoiles frelatées.
Alix Fournier-Pittaluga, qui avait l'an passé monté un savoureux "Mr Kolpert" au théâtre de la Jonquière, a conçu ce voyage insensé comme une métaphore générationnelle. Il s'agit pour elle de raconter ce que sont les jeunes adultes d'aujourd'hui, ceux qui sont à peine sortis d'une enfance prolongée estudiantine pour connaître la précarité des diplômés.
Petits soldats de la modernité mais pas dupes des jeux de rôle dans laquelle elle les enferme pour mieux les utiliser, ils ont beaucoup tâtonné à la recherche d'eux-mêmes dans une longue, trop longue expérience de l'inexpérience.
Comme les générations précédentes, ils sont prêts à tout. Mais, comme ils sont désormais totalement dépourvus de conscience politique, ils paient cash cette désertion et se retrouvent comme les enfants des classes populaires dans les rets du ludique le plus abject.
Dans son dispositif, Alix Fournier-Pittaluga a conçu au premier plan une scène de pique-nique avec relief de repas et bouteilles de bière. C'est là où le quatuor étale sa nostalgie, son refus d'un monde de moins en moins vivable, se serre les coudes et communie au bon vieux temps de leurs espérances. Derrière ce premier plan, il y a un rideau transparent délimitant l'espace où vont phosphorer les concepteurs de cette télé-réalité de l'extrême définitivement dépourvus de toute morale.
On va longtemps passer de l'un à l'autre, les quatre amis rêveurs se transformant instantanément en quatre créatifs calculateurs, sans que les deux univers perdent de leur étanchéité. Puis viendra, le moment fatal, celui du mélange des genres, quand l'un des garçons au bout du bout de son désespoir se fera candidat au départ.
On pourrait craindre que tout cela soit très théorique et que le passage, une nouvelle fois, par le prisme de la télé dans sa forme la plus contestée, ne produise que des poncifs déjà éculés. Alix Fournier-Pittaluga sait remarquablement éviter cet écueil, en ne paraphrasant pas une émission de télé-réalité mais en montrant principalement sa fabrication.
De plus, elle rend celle-ci hilarante puisque les quatre compères démiurges sont saisis dans des séances de "brain-storming" où, pour que les pires idées leur viennent, ils se déguisent. On aura ainsi le droit à un moment "Animal Farm", une mise en abyme de l'univers d'Orwell, dans lequel les petits-enfants de Big Brother montreront toute leur effroyable cynisme.
Le mot est lâché ! Il faut aussi mettre au crédit d'Alix Fournier-Pittaluga d'en être totalement dénuée. C'est sans doute pour cela que pour l'instant, elle ne dispose pas de moyens vidéos très performants et qu'elle ne joue pas dans la même catégorie qu'un Julien Gosselin.
"Welcome to The Future" est l'anti-thèse complète des "Particules élémentaires" de Gosselin. Ici pas question d'en rester à un constat séduisant, dans une esthétique détachée et amusée. Ala provocation inoffensive de Gosselin qui ne dénonce rien, Alix Fournier-Pittaluga préfère dire les choses sans ambages et sans guillemets : dans une époque de merde, on finit par manger de la merde.
Et les choses une fois dites, elle joindra, sans une once d'épate-bourgeois, les actes à la parole : Milo, prêt à tout pour quitter l'enfer terrestre plongera sa cuillère dans un pot d'excréments.
"Welcome to The Futur" laisse donc un drôle de goût dans la bouche, mais pas celui qu'on croit : c'est un spectacle étonnamment lucide, dans ses hauts comme dans ses bas, un spectacle qui s'appuie sur quatre comédiens capables de passer de pile à face, du blanc au noir en un instant.
Noémie Bianco, Simon Bonnel, Sophie Ricci et Lorris Verrecchia sont impeccables, sans doute portés par l'écriture efficace d'Alix Fournier-Pittaluga qui, mieux que le sentiment d'une génération, capte l'esprit d'une époque. |