Europavox, deuxième jour. Petit soleil et petit vent, conditions idéales pour ouverture officielle de festival. Comme à l’accoutumée, et alors que je me suis déjà présentée hier, on ne trouve pas mon nom, mon pass, mon média. J’ai hâte de devenir très connue ou de raccrocher définitivement pour éviter ce genre de malaise récurrent à l’accueil "pro".
Je prends mon courage à deux mains pour tenter une immersion durant le spectacle des Frères Casquette. Le public escalade les rambardes des crashes, tripatouillent les fils électriques, dansent frénétiquement sans musique, crient en fusant avec moult trottinettes. Public hostile, féroce, humide et affamé (c’est l’heure du goûter) qui a l’air pourtant d’apprécier ce spectacle de "hip-hop" pour culottes courtes. Je ne suis pas convaincue par tout, mais je reste sur l’impression que la prestation semble plaire.
Un des petits défauts de la programmation de ce samedi, c’est la béance terrible qui éloigne la fin du spectacle pour enfants (16h57 très exactement), et le début du concert suivant... à 19h15. N’y avait-il pas la possibilité de programmer quelques petits groupes locaux bien sentis pour occuper les temps morts ?
Tout commence par Joco : deux sœurs venues d’Allemagne, l’une jouant de ses doigts de fée au clavier (pâle substitut d’un piano qu’elle maîtrise sans doute joliment), l’autre rythmant et "grattant" le tout en irradiant de son sourire parfait une foule toujours trop parsemée à mon goût. Le set est d’une douceur et d’une justesse rares, et son atmosphère me fait penser tantôt à l’illustre Agnès Obel, tantôt à ma chère amie et artiste de talent Kat May. Rares sont les voix qui s’entremêlent aussi bien, rares sont les possibles d’une telle alliance – voici une découverte à suivre (et à programmer) absolument.
Tout autre ambiance avec Fùgù Mango : on passe, d’une salle à l’autre, de la suavité mélancolique de Joco à la sécheresse nette et vive de l’african beat martelé comme un cœur (belge) qui bat. Le choc est un peu rude au départ, l’immersion délicate, et même si le style n’est pas du tout dans mes goûts personnels, le mix dance-pop et, plus généralement le mélange des genres, parfois périlleux, est ici non seulement pleinement assumé mais cohérent et original, produisant une musique vitaminée et optimiste.
Je maintiens depuis des lustres que The Dø a réussi à concilier les fastes grisants de la notoriété en restant fidèle à sa musique tout en cherchant à la renouveler. Autrement dit, et pour faire simple : voilà une réputation musicale qui n’est pas, au contraire d’autres formations dont on taira le nom, usurpée. Entre le set de 2011 (illustrant l’album Both ways open jaws) et celui d’aujourd’hui (Shake Shook Shaken), rien à voir. On est passé de la blondeur hirsute en jupe à volants à la noirceur carrée d’une combinaison rouge. En revanche, le spectacle est toujours au rendez-vous et Olivia Merilahti mène la danse d’une souplesse qui lui est propre. Je reste (encore...) surprise de la différence numérique entre le public du Printemps de Bourges (où j’ai pu voir The Dø il y a un mois) et celui du Forum qui me paraît abusivement clairsemé, même s’il murmure de satisfaction dès les premières notes entendues - "Keep your lips sealed", "Miracles (Back in Time)", "Opposite ways", les trois premiers titres du live, chantés avec beaucoup beaucoup de précautions par une voix fragilisée dont on espère le rétablissement rapide pour une tournée apaisée...
Soyons honnête : j’appréhendais Robi pour pas mal de raisons, qui se sont toutes envolées comme au neige au soleil en quelques minutes – notamment parce que son dernier album La Cavale m’a paru très austère à l’écoute. Or, la prestation scénique révèle beaucoup d’énergie, de passion et de mystère et Robi place son set dans une atmosphère doucement rock, davantage sous l’égide, donc, de "L’hiver et la joie" (que je réécoute en boucle depuis, du coup). Moralité : une très belle prestation, doublée d’une disparition totale des a priori la concernant (comme dit le proverbe, "y a que les cons qui...").
J’emprunte ensuite le chemin périlleux qui mène à la scène extérieure gratuite, la Factory, où Steaming Satellites doit jouer. Mais voilà, au grand dam de photographes toujours agacés par quelque chose, là où le public décide juste de boire un verre de plus, la Factory a pris beaucoup, beaucoup de retard. Beaucoup de balances... Pour peu de set me concernant. Néanmoins, le vu (et entendu ensuite) laissent à penser que le prochain album – à naître en septembre – tiendra les promesses "rock alternatif" entraperçues ce soir.
Ah, Dominique A. Si vous saviez combien les yeux des dames quadragénaires brillaient avant même son entrée sur scène ! Combien le chanteur aux airs débonnaires était attendu d’oreille ferme ! Légende parmi les légendes dans le panorama "chanson française" depuis les années 1990, il y a chez Dominique A quelque chose de très attachant et de (parfois) très ennuyant – la faute sans doute au filon paradoxal de la notoriété par la normalité. Mais là s’arrête ma (bienveillante !) pique : Dominique A, en effet, est le seul, depuis le début du festival, qui remplit sans réserve la salle qu’il occupe, de telle sorte que je ne peux décemment que faire chapeau bas. Il y a sans doute ici, dans ce public poli et aimant, le microcosme "A", composé de nostalgiques de la langue française, de la chanson chantée, de la voix claire et limpide, du chanteur propre sur lui qui livre son cœur simple entre deux sourires tantôt gênés tantôt ravis. Petit plus non négligeable : la qualité et la présence des musiciens qui l’entourent. Le paradoxe dans cette histoire étant que mes points communs avec ce chanteur sont sans doute ce qui m’empêche de l’apprécier à sa juste valeur... A revoir, sans appareil photo et sans carapace, histoire de faire tomber mes dernières réticences.
Finissons avec les Puts Marie, ratés au Printemps de Bourges et ardemment attendus. Max Usata, le chanteur, tente des balances qui sont aussi des vocalises, crache par terre, expédie le tout, s’installe à la batterie et le tour est joué. Pas de travestissements ni de grand n’importe quoi dans ce moment qui ne semble emballer aucun des membres du groupe (certes, je ne suis pas restée sur l’ensemble du set, ainsi peut-être que quelques folies ont eu lieu après mon départ...). La puissance énigmatique des Puts Marie n’est pas un mythe : le groupe est dérangeant autant par son attitude, tantôt désinvolte tantôt provocante, que par sa musique, qui expérimente à chaque titre un joyeux fourre-tout générique sans jamais (et là est l’indice de leur valeur) être "à côté". J’avoue avoir été contente de terminer cette lisse journée par quelque chose d’un peu hors norme, d’un peu sale, de très underground et de symboliquement violent.
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