Comédie dramatique de Lyle Kessler, mise en scène par Sylvy Ferrus, avec Etienne Ménard, Vincent Simon et Bastien Ughetto.
De la pièce "Orphans" ("Orphelins") de Lyle Kessler, Alan J. Pakula, le réalisateur du "Choix de Sophie" avait tiré un beau film, "Les Enfants de l'impasse" avec Albert Finney et Mathieu Modine.
Ce titre est peut-être plus explicite qu'"Orphans" et fait référence aux "Dead End Kids", un groupe d'enfants qui, à Hollywood, jouaient les enfants des rues de New York et de Chicago, livrés à eux-mêmes et bien entendu tentés de devenir les petites mains des gangsters. Ces "Anges aux figures sales" se confrontaient ainsi à Bogart dans un célèbre film de Raoul Walsh
Sylvy Ferrus a fait le bon choix en adaptant cette pièce tellement riche en références mythologiques américaines qu'elle ne cesse d'être montée. Créée par Gary Sinise, et reprise avec Alec Baldwin, elle a, outre le film de Pakula, été l'objet d'une lecture avec Pacino dans le rôle du "père"/gangster.
Il faut dire qu'elle porte en elle la marque "Actor's Studio" dans ce qu'elle a de meilleur, Lyle Kessler ayant travaillé avec Lee Strasberg. Dans cette version très réussie de Sylvy Ferrus, les trois acteurs ne cherchent pas à jouer à tout prix selon les codes de la "Méthode". Si chacun est bien caractérisé, parfois sous tension et toujours enfermé dans son propre univers, ils parviennent pourtant à jouer à l'unisson pour que leur étrange trio prenne sens.
Dans "Orphans", deux jeunes frères sont livrés à eux-mêmes dans une maison de Philadelphie. Le plus grand,Treat, pour protéger son jeune frère, Philip, le maintient dans son enfance, au risque d'en faire un débile analphabète. Il ne sort jamais pendant que son aîné, en attendant pire, commet des petits forfaits pour les faire survivre.
Un soir, il ramène à la maison Harold, un homme ivre, un homme en possession d'une mallette pleine d'actions. Les deux frères décident de le kidnapper. Tout bascule alors car l'homme est un gangster qui voit en eux des "Dead End Kids", des petits orphelins voués au crime et à la mort précoce. Il va tenter de les ramener à la vie, à l'amour.
Pièce décidément "cinématographique", "Orphans" bénéficie du beau décor et des costumes impeccables de Marine Fronty et Zsoffia Rozgonyi. Avec une grande économie de moyens, elles sont parvenues à créer un intérieur où s'épuisent les angoisses de Philip et les frustrations de Treat et à rendre signifiantes les tenues des uns et des autres. Dès lors, on assistera à des échanges intenses, voire physiques, où le trio n'hésitera à passer par des moments de vraie violence.
Ce gangster mystérieux devient un père de substitution pour ces deux garçons perdus et bouleverse leur éternelle routine. Orphelin lui aussi, rêvant de les sauver ou de les adopter, il lie à jamais son destin aux leurs.
Etienne Ménard est très convaincant dans ce rôle de gangster à la Humphrey Bogart, poursuivi par un destin sans pitié. Il fait face à Bastien Ughetto, qui transforme son personnage de faux autiste prolongé en un modèle du genre, et à Vincent Simon, plus écorché, plus en manque d'amour, lui qui donne maladroitement ce qui en fait chez lui office à son frère.
La situation est forte, la pièce formidablement écrite et l'on sent, même sans en bien connaître tous les ressorts, que Sylvy Ferrus et ses acteurs se font un devoir d'en respecter l'esprit. Cette pièce apparemment très américaine touche à l'universel, car elle est avec une grande justesse du côté de ceux qui ont connu la pire des injustices, celle de grandir sans amour.
On n'hésitera donc pas à dire qu' "Orphans" est un des spectacles les plus réussis qu'on ait pu voir cette saison. |