Ce sont les normands des Goaties qui ouvrent la grosse journée du samedi. Bienvenue dans un monde qui a cessé d'exister depuis quelque temps déjà, le punk français qui chante en français. Celui des $herrifs et des Porte-Mentaux, de Parabellum et de Ludwig 88. Déguisés en indiens, entre l'énergie punk du groupe et le cagnard, les maquillages ne tardent pas à couler. Face à des musiciens échappés de Mad Max 2, le public encore clairsemé se fait plaisir. Leur single, Coldsweat, est court, hargneux, rentre-dedans. Une entrée en matière sans faux-col. Certes, les Goaties ont un côté un peu rustre, mais on ne va pas bouder notre plaisir quand on rencontre d'authentiques représentants d'un genre qu'on a beaucoup aimé dans une autre vie.
Pas d'erreur de casting en continuant avec les Marmozets. C'est punk, remuant, mais à l'anglaise. Les cinq anglais de Bingley, dans le West Yorkshire, emmenés par la blonde Becca Macintyre, débordent d'énergie. On pense aux Stiff Little Fingers avec la voix de Chrissie Hynde. Pas de doute, eux aussi donnent tout ce qu'ils ont malgré la chaleur. Becca bouge, va chercher le public, hurle. Ça fait du bien de la hargne et de la sueur. Malgré tout, on les sent heureux de jouer ici, leur unique date française de l'été. Leur album The Weird And Wonderful Marmozets est sorti il y a un an, je suis passé à côté. Je me rattrape dès la fin du festival.
C'est ensuite les français de Talisco qui entrent en scène. Même si ce nom ne vous dit rien, ou peu, vous connaissez sans aucun doutes leurs singles. Ils semblent authentiques et sympathiques, heureux de jouer devant un parterre de personnes qui restent assises dans l'herbe tant que la fréquentation du lieu le permet encore. Leur rock folk n'est pas d'une folle originalité, mais bien réalisé, sans prétention exagérée. Très chouette moment.
Viennent ensuite The Strypes. Les jeunes mods irlandais ont appris les évangiles du rock chez Paul Weller et Oasis. Ils ont été assidus, car leurs compositions sont absolument énergiques. Il y a aussi le style : costards noirs et lunettes de soleil. Certes, les vestes de costard sont rapidement tombées, mais l'énergie n'a pas décru. Le public répond même sans connaître les chansons. L'osmose prend, ce qui en fait un des grands moments de ce samedi après-midi. Mais il faut partir un peu avant la fin car Johnny Marr va bientôt entrer sur la petite scène.
Seul à porter une chemise rouge au milieu de requins excellents tous de noir vêtus, Johnny Marr commence par des morceaux de son excellent dernier album Playland entre lesquelles il glisse une petite reprise des Smiths : "Stop Me If You Think You've Heard This One Before".
Les versions de "Candidate" et "Easy Money" passent la barre haut la main. Puis rapidement le concert se transforme en une soirée de reprises : The Smiths avec "Bigmouth strikes again". Il revient à ses propres chansons solos.
C'est lorsque je me dis que physiquement il ressemble désormais à un autre mancunien, Steve Diggle, et ses compos à celle d'un autre groupe du cru, New Order, qu'il se lance dans la reprise de "Getting Away With It" d'Electronic, premier single du groupe qu'il avait fondé avec Barney Albrecht, le chanteur de New Order. Puis il enchaîne avec "There Is A Light" des Smiths, "I Feel You" de Depeche Mode. Avant de finir avec "How Soon Is Now". Le mancunien n'avait rien à prouver comme guitariste, a priori il se fait maintenant aussi plaisir comme chanteur.
Florence & The Machine a musclé son dispositif de scène d'une section de cuivres. La rousse Florence Welsh joue toujours pieds nus. On la connaît pour ses prestations solaires. Au soleil couchant de Beauregard, elle livre un de ces concerts à la folie douce, durant lequel elle saute, danse, court devant la scène pour taper dans les mains du public, monte sur les barrières de premier rang. Si What Kind Of Man, son dernier single rencontre une belle adhésion du public, "Dog Days Are Over" en final est splendide. Public conquis, victoire de Florence & The Machine par KO.
Ensuite, pendant Julien Doré, je suis allé prendre un léger rafraîchissement. Julien Doré a fini son concert avant que je ne finisse mes bières. Alors si je ne le chronique pas, c'est aussi un peu sa faute. Je ne doute pas que ce fut tout à fait professionnel, plein de tubes et fabuleux pour ceux qui aiment quand Julien Doré fait son Julien Doré (même si on m'a dit qu'il y avait beaucoup trop de basses).
Je reviens pour Sting. Il est barbu, entouré de gros requins de studio qui lui servent la soupe. Il y a du tube de Police toutes les deux chansons, alors que je n'ai jamais aimé ce groupe. Et lorsqu'il ne reprend pas du Police, son "adult rock" m'ennuie. Sting est exactement le genre de chanteur fédérateur, avec des tubes connus par toutes les générations, idéal pour ceux qui vont voir un concert par an et écoutent RTL2 dans la voiture familiale.
Il y a quelques années, le patron d'un festival moyen, qui avait fait venir Sting, me racontait avoir réalisé une bonne affaire : un contrat à 135.000 euros, mais tous les billets étaient partis rapidement. Il avait fait un bénéfice de 10.000 euros rien que sur la vente des entrées. Sting, depuis son premier album solo, vers la fin des années 80, reste le chanteur qui aurait aimé rivaliser avec Bono pour l'humanitaire compassionnel, mais qui, alors que le chanteur de U2 posait avec Desmond Tutu, se trimballait en pagne avec des indiens d'Amazonie, désormais décimés, en couverture d'Actuel. Sting est à peu près aussi crédible dans le bien-pensant humanitaire que Florent Pagny, l'évadé fiscal, aux Restos du Coeur.
Reconnaissons néanmoins que Sting a un paquet de tubes à son actif, que les musiciens derrière lui, à défaut de sembler se faire plaisir, étaient excellents, qu'il a fait l'effort tout à fait louable et sympathique de s'adresser au public en français tout au long du show, et qu'il était à l'aise autant dans son rôle de meneur de revue qu'avec ses musiciens. Simplement, programmer Sting en tête d'affiche d'un festival rock au milieu des années 2010, c'est comme programmer Richard Anthony ou Dick Rivers en pleine vague Britpop au milieu des années 90. C'est 30 ans trop tard.
Je ne m'attarderai pas sur The Dø, déjà vus cette année, qui sur cette tournée Shake Shook Shaken me semblent être tombés dans le concert froid, chorégraphié et millilitré. Ce n'est même pas que l'enthousiasme des débuts a disparu, mais que le format désormais plus électro du groupe, semble les rassurer au point de s'enfermer dans une bulle et de perdre le contact avec le public, le lien réel, l'émotion, pour se contenter du discours de circonstance calculé et répété à l'identique un soir sur l'autre.
J'ai entendu le set efficace des 2 Many DJ's bloqué dans ma voiture alors qu'il m'a fallu 2 heures pour m'extraire du parking du festival. Le carton plein pour Sting a fait venir 26.000 personnes sur le site de Beauregard ce soir-là entraînant quelques problèmes lors de la sortie.
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