Réalisé par Jonas Carpignano. Italie/France/Etats-Unis/Allemagne/Qatar. Drame. 1h45 (Sortie le 2 septembre 2015). Avec Koudous Seihon, Alassane Sy, Pio Amato, Annalisa Pagano, Paolo Sciarretta, Luciana Vincenzi, Mary Elisabeth Innocence et Francesco Papasergio.
Le sujet que traite "Mediterranea" de Jonas Carpignano est un sujet malheureusement d'actualité et qui risque de le demeurer longtemps, puisqu'il conte le parcours chaotique et héroïque de deux Burkinabés qui finissent par atterrir en Italie du Sud où ils vont travailler dans des champs d'oranger.
Tout de suite, il faut affirmer fortement que le traitement de la question des migrants par Jonas Carpignano n'a rien à voir avec celui que l'on voit de coutume dans les reportages télévisés. Il ne s'agit pas d'un documentaire formaté avec voix off débitant les propos compassionnels attendus, mais d'un authentique film de fiction qui, au travers de deux personnages bien différents, met en scène avec une grande justesse une réalité sociale douloureuse.
La force première de "Mediterranea" est de suivre de A à Z l'épopée dantesque d’Ayiva et d'Abas et de montrer comment les deux amis réagissent différemment. Au courage d'Ayiva, à sa manière de tout prendre sur lui, de subir les choses comme si elles glissaient sur lui, répond la colère d'Abas, son incapacité à accepter d'être traité comme une quantité plus que négligeable et puis sans doute - et l'on ne mettra pas cela à son débit - une moindre énergie, une moindre résilience face à l'impressionnante série d'épreuves qu'ils ont traversées.
Partis du Mali, ils devront traverser le Sahara, survivre en Algérie et en Lybie, embarqués à leurs risques et péril jusqu'en Italie. Là, de nouveau, il s'agira de savoir quoi faire et où aller. Dans cette nouvelle attente pour un ailleurs hypothétique ou pour un humiliant retour à la case départ, c'est dans la chaleur des champs d'oranger que se jouera leur destin.
La force et l'intérêt du personnage d'Ayiva va résider dans son regard : au lieu de s'apitoyer sur son sort, il ouvre les yeux, observe, jauge. En retour, cette manière de se comporter attirera l'attention de son patron, Rocco, le propriétaire des vergers, qui lui ouvre la porte de sa famille.
La grande intelligence de "Mediterranea" de Jonas Carpignano réside dans son refus du manichéisme. Rocco n'est pas qu'un exploiteur de main d'oeuvre corvéable à merci. C'est aussi un homme rude qui peut apprécier son alter ego au-delà de sa race ou de sa religion. Dans le même temps, sa fille peut sortir avec un jeune Italien qui, le soir, "casse du noir" et Alyva, qui a accepté de jouer les extras à une soirée de Rocco, peut se retrouver à le servir...
Les choses ici sont complexes, la violence est là concomitante d'une éclaircie et au bout de la route de papiers en bonne et due forme.
Ceux qui iront voir ce film fort, dense et sans prêchi-prêcha, auront aussi la chance de découvrir en Koudous Seihon, qui joue Alyva, un acteur exceptionnel. Le scénario de "Mediterranea" s'inspire plus ou moins de son l'histoire et il fait plus que la rejouer car il est de la dimension des plus grands. Il lui suffit d'un regard ou d'un sourire pour exprimer un sentiment, et, plus encore, d'un instant pour faire passer un autre sentiment.
Jamais emphatique toujours sincère, "Mediterranea" de Joshua Carpignano, qui a tout pour être le film de référence sur la question des migrants, doit être vu avant tout comme une œuvre de grande qualité, comme un des plus beaux films humanistes de ces dernières années. |