Comédie dramatique de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Olivier Sanquer, avec Axel Arnault, Hubert Bolduc, Nicolas Dionne-Simard, Simon Guirriec, Rouslan Kats, Laurent Mere, Sébastien Pruvost et Denis Rolland.
Les ors, la pourpre et le cristal des grands théâtres à l'italienne constituent rarement un environnement propice aux pépites théâtrales et c'est au petit Théâtre Clavel que se niche "Les Feluettes" pour laquelle le Collectif Nacéo dirigé par son fondateur, le metteur en scène québécois Olivier Sanquer, livre un travail d'exception.
Si le visuel de l'affiche semble évoquer une légère comédie "gay friendly", son registre est celui du drame. En effet, cette pièce constitue une des oeuvres majeures du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard, grande figure de la scène canadienne, écrite à la fin des années 1980 et dans laquelle il revisite, au masculin, le mythe amoureux, l'amour tragique et la jalousie dans une partition qui ressort à la tragédie.
Une partition singulière placée sous le signe d'un lyrisme à la hauteur du thème traité qui, par ailleurs, hybride humanisme et mysticisme pour élever la pureté de l'amour juvénile, et ce quel que soit le sexe des amants, en amour sacré.
De nombreuses années après avoir été condamné pour un meurtre dont il est innocent, Simon obtient la venue dans son pénitencier de l'évêque Bilodeau, sorte de Savonarole au petit pied qui prône la vertu morale et la conformité des moeurs à la doctrine ecclésiastique, qui fut son condisciple dans une école confessionnelle au début du 20ème siècle, pour que la vérité soit enfin révélée à l'issue d'une représentation du passé retraçant les circonstances dans lesquelles Vallier, le jeune homme qu'il aimait, a trouvé la mort.
Dans une communauté bien-pensante placée sous l'aune de l'hypocrisie, cet amour, souvent pudiquement qualifié d'amitié particulière qui constitue un corollaire presque ordinaire des amours adolescentes en milieu scolaire fermé, aurait été toléré s'il était resté occulte.
Mais la colère du père de l'un, qui y voit une perversion et une offense à son honneur, la mère de l'autre, vivant dans un monde imaginaire pour oublier sa situation personnelle de femme abandonnée, encourageant cet amour qui la laisserait à jamais la seule femme dans la vie de son fils, et, surtout, la jalousie d'un amoureux éconduit portent le fait sur la place publique et réveiller les démons de l'intolérance.
Travail d'exception donc en ce qu'il implique d'intelligence et de discernement dans les parti-pris de mise en scène d'un texte fort et ambitieux traitant d'un sujet universel et intemporel et, par ailleurs, militant, de rigueur dans la directeur d'acteur et de justesse dans l'interprétation par une troupe de comédiens québécois, français et suisses.
La mise en scène rigoureuse de Olivier Sanquer impressionne non seulement par sa grande économie de moyens scénographiques, deux palettes, une caisse en bois et quelques chaises, mais par son registre pour le moins singulier qui pourrait être qualifié, nonobstant l'antinomie apparente des termes, de "in-yer-face sulpicien".
Ecartant le naturalisme tout comme les codes et clichés appliqués à l'homosexualité, il insère la pièce - qui comporte des épisodes violents, de violence physique mais également psychologique - dans l'atmosphère qui préside au genre dramatique du mystère érigeant le le théâtre en cérémonie et qui est celle, dans un renouvellement du genre avec l'immixtion du profane, - en l'espèce, l'hybridation du sacré et du profane affleure constamment, notamment avec deux bouleversantes scènes de Pieta - du texte de Gabriele d'Annnunzio écrit pour "Le Martyre de Saint Sébastien", mis en musique par Claude Debussy, joué par les deux jeunes gens dans le cadre d'un spectacle d'école et qui leur révèle, comme à ceux qui veulent le voir, l'incandescence de leur amour.
La distribution est homogène et l'interprétation chorale est émérite. Dans les rôles principaux, Laurent Mère porte celui du jeune homme ravagé par la jalousie destructrice, et Denis Rolland et Simon Guirriec, respectivement la mère de Vallier et la dame qui projette d'épouser Simon, campent crédiblement, et sans travestissement de la voix, les personnages féminins.
Mention spéciale à Hubert Bolduc et Axel Arnault, dans une excellente incarnation des "fluets", terme caractérisant les jeunes garçons sensibles dont est tiré le titre de la pièce, qui portent haut la foi en l'amour défendue par Marc Michel Bouchard, l'amour absolu qui transcende. |