Réalisé par Marco Bellocchio. Italie/France/Suisse. Drame. 1h47 (Sortie le 7 octobre 2015). Avec Roberto Herlitzka; Piergiorgio Bellocchio jr, Lidiya Liberman; Fausto Russo Alesi , Alba Rohrwache, Federica Fracassi, Alberto Cracco et Bruno Cariello.
Il y a cinquante ans, Marco Bellocchio tournait "Les Poings dans les poches". Enfant terrible du cinéma italien, il prouve aujourd'hui avec "Sangue del mio sangue" qu'il ne s'est pas assagi malgré une œuvre abondante qui en a fait un maître de son art.
Tout autre que lui se serait ainsi contenté de broder autour de la première partie de son film, celle où il raconte avec une grande mastria l'histoire de Benedetta une nonne qui a séduit un prêtre et à qui l'Inquisition fait subir un procès en sorcellerie.
Il faut dire que la mise en scène de Bellochio est à couper le souffle tellement elle semble évidente, tellement elle est inspirée pour faire le portrait tragique de Benedetta. Scène après scène, supplice après supplice, le spectateur suit le calvaire de la nonne qui a trahi ses vœux comme s'il assistait vraiment en direct à sa petite mort.
Quand viennent les maçons pour l'emmurer vivante, on se demande quelle subtile vengeance la sorcière prépare pour ses juges iniques et ses bourreaux sadiques. C'est alors que cet athée, cet anarchiste ricanant de Bellochio en revient à aujourd'hui pour construire sa parabole grinçante sur l'Italie de toujours.
Dans cette seconde partie, les personnages que l'on a vu entourer Benedetta et participer à sa perte ont pris les traits de la modernité. Mais y-a-t-il une modernité dans ce monde bâti sur tant de cadavres emmurés ?
L'Inquisition a pris d'autres formes et ne continue-t-elle pas de faire trembles les âmes ? Tous ces nouveaux mondialisés ne sont-ils pas ses obligés ? N'ont-ils pas pour fonction d'empêcher par d'autres moyens les hommes d'être enfin libres ?
Bellocchio invente un comte-vampire qui habite dans l'ex-palais où avait été jugée Benedetta. Supervise-t-il les activités mafieuses dans cette petite localité où toutes les solidarités ont disparu à l'ère de la misère post-industrielle ? À quoi servent ses représentants de l'État et notamment cet inspecteur ministériel qui a les traits de l'amant de Benedetta ?
Qu'est devenue l'Italie d'avant, celle où les citoyens pouvaient, malgré tout ce qu'ils en pensaient de négatif, compter sur la politique pour échapper aux puissances obscures ?
On retrouvera ici l'ambiance virtuose qu'avait su créer Bellocchio dans "Le Sourire de ma mère". Chef d'orchestre décrivant ce tourbillon infernal, cette danse de vie et de mort à laquelle participent les forces nuisibles qui s'accaparent sans transcendance les âmes italiennes, il assène une magistrale leçon de cinéma.
Elle ne sera sans doute pas comprise par tous les Sorrentino et autres Desplechin italiens. Tant pis. "Sangue del mio sangue" de Marco Bellocchio appartient à cette lignée de chefs d'oeuvre qui ne livrent pas leurs secrets immédiatement.
Peut-être faudra-il pour les percer une ère politique nouvelle, une ère où le sang italien se sera enfin régénéré. Le toujours jeune Bellocchio qualifierait ce moment à venir de révolutionnaire... |