Drame de Victor Hugo, mise en scène de Cécile Arthus, avec Eugénie Anselin, Heidi Brouzeng, Lazare Herson Macarel, Fabien Marais et Estelle Meyer.
Souvent Victor Hugo est maltraité au théâtre, et curieusement plus souvent quand on adapte ses pièces que ses romans.
Il faut dire que ce monument des lettres française aime le monumental et qu'il est un dramaturge excessif, concevant des œuvres ost-shakespeariennes pleines de bruit et de fureur, propices aux effusions et opposant pléthore de personnages.
Passionné de drames et fabricant de mélodrames, alliant le sérieux et le laisser-aller, précurseur du second degré mais accroché à la littéralité des textes, le bonhomme n'est pas commode. Encore moins à suivre dans ces délires d'imagination. Les écueils sont donc légion pour les inconscients qui se jettent dans son œuvre.
A commencer par celui de ne pas vraiment le comprendre, de tout prendre à la farce et de ne pas explorer la force de son romantisme.Car il ne faut pas oublier que Victor Hugo aime la grandiloquence et que s'il ne refuse pas qu'on s'en amuse, il souhaite aussi qu'on la respecte.
C'est ce qu'a très bien compris Cécile Arthus en adaptant la version que Jean-Marie Piemme a tiré d' "Angelo, tyran de Padoue". Recentré, resserré, le mélodrame de Victor Hugo a perdu des scènes et des personnages. Il a gagné aussi en universalité en se dégageant de son côté "pièce à costumes".
Au lieu d'être engoncés dans des tenues "Renaissance", de porter l'épée au côté, les héros d'Hugo portent ici la jupe et sont habillés de bric et de broc, dans des tenues quasi clownesques.
Évidemment, quand le spectateur se retrouve face aux décors et aux costumes conçus par Ingrid Petitgrew, il peut franchement avoir une certaine appréhension. Car sur le sol repose une marée de ballons de baudruche, parmi laquelle détonnent quelques amas de pistolets et de mitraillettes. En son centre, il y a une espèce de kiosque fermé par un rideau argenté. Pour couronner le tout, une banderole "love" apparaît en lettres de baudruche
Tout cela n'annonce-t-il pas un spectacle au énième degré qui aurait pour mentor Vincent Macaigne revu et corrigé par Quentin Tarentino ?
Mais, bien vite, l'amateur d'Hugo sera rassuré : son esprit, voire sa lettre, sera respecté par Cécile Arthus et l'excellente distribution qu'elle a dirigée. Car dans sa version, l'essentiel d'Angelo est là. Compris, assimilé, à l'aise dans un cadre qui n'a finalement pas d'autre importance que d'éviter la lourdeur mélodramatique finale.
Même le principe d'une narratrice qui introduit et commente l'action ne paraît pas superflu. Au contraire, elle donne le "la" distancié : "Ce soir, vous et moi nous allons traverser l’épaisse forêt des élans amoureux Ce soir, je serai votre guide Ce soir, il sera question d’amour"
D'amour, de jalousie et de pouvoir et c'est une histoire implacable, un tourbillon de passions humaines dévastant tout à deux-cents à l'heure qui va se jouer entre Angelo, Catarina, Rodolfo et Tisbé.
Alors, le sang coulera et les cadavres s'amoncelleront jusqu'à épuisement du stock d'acteurs et de leurs bonnes ou mauvaises raisons de succomber. A la logorrhée de mots succèdera celle des morts. Avec la même gratuité, le même excès. Cécile Arthus ne commet pas de contresens et sert bien Hugo, flot baroque dans une mer romantique.
Et ce romantisme, tous les acteurs l'ont chevillé au corps. A commencer par Eugénie Anselin qui joue une reine déchirée et déchirante, et Estelle Meyer qui marque de son empreinte le rôle de Tisbé, la maîtresse royale.
Toutes les deux font face à Vincent Chatraix qui fait d'Angelo un tyran d'une douceur déconcertante. Yann Berthelot, Heidi Brouzeng, Lazare Herson Macarel et Fabien Marais complètent avantageusement cette distribution homogène qui prend plaisir à jouer ensemble.
Grâce à eux tous, "Angelo, tyran de Padoue" n'est pas qu'une curiosité mais un vrai beau moment de théâtre. |