Réalisé par Rithy Panh. Cambodge/France. Documentaire. 1h32 (Sortie le 21 octobre 2015). Commentaire écrit par Christophe Bataille et dit par Randal Douc.
Depuis "S21, la machine de mort khmère rouge" (2002) jusqu'à "Dutch, maître des forges de l'enfer" (2010), Rithy Panh a construit une œuvre centrée sur le génocide cambodgien.
En convoquant des témoins et des acteurs des massacres, en filmant les lieux où ont eu lieu les atrocités, il a permis de mieux connaître le cauchemar subi par un peuple de 1975 à 1979.
Avec "L'image manquante", il change de perspective et introduit son histoire personnelle de petit garçon cambodgien pris dans l'effroi de la grande Histoire.
Les évènements qu'il a vécus datent d'il y a quarante ans. Les hommes avaient marché sur la lune et, sauf quelques endroits inaccessibles, pas le moindre centimètre ne pouvait plus échapper aux appareils de prise de vues, puis aux photos satellite. Or, en ce qui concerne le "Kampuchea démocratique", Rithy Panh, à la suite de bien des chercheurs et historiens, n'a pas trouvé une seule image attestant la réalité des horreurs de la guerre et de la révolution.
C'est une page si désespérément vide d'images que Rithy Panh a décidé de les "refabriquer" à destination des générations futures et pour conforter sa propre mémoire, ne pas la laisser se déliter, s'estomper, ce qui constituerait une nouvelle victoire pour ces bourreaux qui se targuent de n'avoir pas laissé de trace.
Pour que leurs crimes ne rejoignent pas la catégorie des crimes parfaits, si parfaits qu'ils ne sont même plus concevables, Rithy Panh a eu recours aux services de Sarith Mang. Sculpteur sur bois, Sarith Mang a reconstitué pour "L'image manquante" de véritables tableaux racontant la vie des khmers avant ou pendant l'époque khmère rouge.
Composés de petits personnages sculptés dans le bois, le plus souvent peints dans les tristes couleurs de l'ère khmère rouge, les visages très expressifs dans leur volonté affichée de ne pas avoir d'expression, ils illustrent des moments vécus pendant les années où le "choix" des uns et des autres se résumait à "l'utopie ou la mort".
Sans pathos, mais avec une grande précision qui préserve de toute ambiguïté, ces scènes sont des instantanés nets qui ne souffrent aucune contestation.
Faisant travailler sa mémoire, et ne voulant qu'on l'accuse d'exagération, Rithy Panh s'est associé à l'écrivain Christophe Bataille pour écrire un commentaire "off" qui plonge dans les arcanes de sa mémoire et ravive tant de malheur oublié. Une fois encore, on peut dire que le texte est beau, jamais emphatique et qu'il atteint son but.
"L'image manquante" de Rithy Panh est une excellente entrée en matière dans le génocide cambodgien. Sans complaisance et sans voyeurisme, il est terriblement efficace avec l'usage qu'il fait de ces "tableaux vivants" qui touchent plus directement, qui en disent plus longs que les récits médiatisés par les survivants, bourreaux ou victimes.
Peu à peu, malgré tout ce que remuent ces souvenirs mis à nus, on sent chez le narrateur renaître une certaine sérénité. Peut-être celle qui prend forme à mesure que le travail de mémoire gagne en consistance.
Car, voir ce magnifique documentaire de Rithy Panh, c'est participer à une victoire sur la barbarie en découvrant que sa patience a eu raison de la pièce de puzzle manquante, posée désormais et pour toujours à sa juste place.
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