Réalisé par Patricio Guzmán. France/Chili/Espagne. Documentaire. 1h22 (Sortie le 28 octobre 2015).
On connaît Patricio Guzman comme le grand documentariste de l'histoire du Chili depuis le Coup d'État du général Pinochet en 1973 qui a plongé son pays dans vingt ans de dictature.
A 75 ans, il a derrière lui une œuvre conséquente et qui comptera, car elle témoigne pour l'avenir dans un Chili encore amnésique et qui, d'ailleurs, ne voit guère ses films. Depuis ses derniers documentaires, "Mon Jules Verne" (2005) et "Nostalgie de la lumière" (2010), son cinéma s'est fait plus contemplatif et l'on sent que, pour Patricio Guzman, le temps est venu de partager son expérience de la vie.
Mais si l'histoire d'un bouton, un simple bouton de nacre trouvé au fond de l'Océan Pacifique, le conduit en Patagonie à la recherche de temps immémoriaux, où l'eau, les volcans, les montagnes et tous les paysages ne connaissaient pas encore l'homme, elle le ramène aussi au monde tragique qu'il a toujours décrit.
Dans des paysages d'une beauté folle, restitués par la palette magique de Katell Djian qui effectue ici avec sa caméra un travail incomparable, Guzman plonge une nouvelle fois dans l'humain. On est saisi d'émotion en découvrant les visages fiers et tourmentés par les ans des derniers Patagons. Des Patagons qui appartiennent à des ethnies au nom et aux langues étranges et mystérieuses : les Haush, les Kawéskar, les Selknam...
Ils sont maintenant une poignée, lentes victimes de la colonisation et du travail des missionnaires. Peuples de l'eau, vivant dans un univers aux trois quarts aquatique, ils ont survécu pendant des millénaires en nomades de l'eau se fiant aux étoiles pour les guider d'îles en îles.
Guzman, dont le commentaire off est un modèle de délicatesse pour dire le pire, raconte ce qu'il advint au premier Patagon qui accepta d'aller vivre un temps avec les Anglais qui avaient exploré la région. C'est aussi un bouton de nacre qui est au cœur de ce destin tragique.
Car la beauté sublime de la Patagonie, royaume de l'eau et des rêves, est ternie par ce que les hommes venus d'Occident ont fait de cet endroit magique. Ici, pendant les années de plomb de l'ère de Pinochet, des hommes et des femmes attachés à des rails ont été précipités d'hélicoptères pour disparaître dans ces flots si purs.
Dans "Le Bouton de Nacre" de Patricio Guzman, on verra d'anciens prisonniers politiques qui ont échappé à ces supplices barbares. On redécouvrira aussi au fond des mers, un de ces rails porteurs de mort...
Faisant dialoguer le cosmos et l'eau de la Patagonie chilienne, parler les poètes, les indigènes et les victimes de Pinochet, le cinéaste construit un documentaire d'une rare profondeur. On aimerait savoir ce qu'en aurait pensé un Gaston Bachelard ou un John Cowper Powys, ces grands apôtres de la spiritualité de la Nature comme essence du Cosmos et des cosmogonies.
"Le Bouton de Nacre" de Patricio Guzman contient en son sein des images et des mots inoubliables. Ce cinéma exigeant appelle à la méditation, au respect des hommes et de la nature. Il faut encore remercier son réalisateur d'avoir une si haute idée de ce que l'art cinématographique peut toujours provoquer chez un spectateur.
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