Réalisé par Lav Diaz. Philippines. Drame. 4h10 (Sortie le 4 novembre 2015). Avec Sid Lucero, Archie Alemania, Angeli Bayani, Mailes Kanapi, Mae Paner, Soliman Cruz, Hazel Orencio et Ian Lomongo.
"Norte" de Lav Diaz est un film comme les autres, avec un début et une fin, des personnages, une histoire, une esthétique et une dramaturgie.
"Norte" est un film comme les autres, sauf que c'est une expérience unique de deux-cent cinquante minutes. Une expérience qui devrait permettre à pratiquement tous ses spectateurs de découvrir le cinéma de l'un des premiers grands créateurs du nouveau millénaire.
Évidemment, si l'on a soif de correspondances, on trouvera des rapprochements formels et narratifs entre Val Diaz le Philippin et Apichatpong Weerasethakul le Thaïlandais.
Mais si les deux cinéastes sont des chantres d’une nature pleine de spiritualité, Lav Diaz ne s’en tient pas à un simple animisme propice à un cinéma contemplatif. Lav Diaz est un conteur d’histoires. Celle qui se déploie dans "Norte" pourrait n’être qu’un argument de mélo.
Avec sa manière de filmer, de distendre le temps, le crime commis prend une dimension métaphysique et c’est à Dostoïevski, à "Crime et Châtiment" que l’on peut alors comparer "Norte". Disséquant le temps de la colère comme celui du remords, il enfonce lentement son scalpel dans chaque nerf de ses personnages.
Au beau milieu de leurs vies malheureuses, il y a la possibilité d’une rémission ou celle d’un encore plus grand malheur. Dans un monde philippin empreint de christianisme, Lav Diaz s’insurge contre ce Dieu ou ce hasard qui peut froidement accumuler les épreuves sur le dos d’une petite famille.
Quand on suit pendant plusieurs heures la vie de ses membres, quand on les voit, tous bons chrétiens, subir et surmonter en vain les pires calamités, on ne peut que s’interroger sur la raison de tout ça. Lav Diaz est un grand cinéaste de la transcendance perdue.
"Norte" a pour sous-titre "La fin de l’Histoire". Dans un pays qui a connu la dictature Marcos, il s’interroge sur l’absence d’un après démocratique. A sa place, il décrit cet engrenage fatal dans lequel les innocents sont toujours les victimes, dans lequel ceux qui veulent créer un nouveau monde sombrent inévitablement dans le nihilisme.
Ainsi, dans "Norte" de Lav Diaz, croyant venger les pauvres qu’elle accule à la misère, un étudiant politisé tue une usurière. Un homme est condamné à sa place, subit l’enfer des prisons philippines et sa famille s’enfonce dans l’extrême misère pendant que le criminel sombre dans une nouvelle folie meurtrière.
Multipliant les histoires possibles, Lav Diaz paraît n’en traiter vraiment que quelques-unes, mais à chaque fois avec une telle ampleur que l’on en reste bouche bée, tétanisé par tout ce qui s’y déploie. Très vite, on comprend pourquoi il a besoin de plus de quatre heures pour mener à bien son récit et quand il achève sa tâche, on est plus frustré que soulagé.
Dans cette oeuvre magistrale, souffle un temps qui n’est plus le temps objectif des horloges, mais celui des conteurs d’épopée humaine. |