Comédie dramatique de Christopher Marlowe, mise en scène Bernard Sobel, avec Bruno Blairet, Simon Bourgade, Anne Caillere, Eric Castex, Arthur Daniel, Valerian Guillaume, Loulou Hanssen, Jonathan Hasgouet, Jean Claude Jay, Antoine Joly, Daniel Léocadie, Frédéric Losseroy, Yannick Morzelle, Raphaël Naaz, Zelda Perez, Manuel Severi et Xavier Tchili.
"La fameuse tragédie du riche Juif de Malte" de Christopher Marlowe, contemporain de William Shakespeare et à qui elle a inspiré "Le Marchand de Venise", s'avère un opus visionnaire et prophétique qui aborde, sous forme de fable tragi-comique, le primat de l'économie, sinon l'emprise totalitaire du système économique capitaliste, la financiarisation, les prémisses de l'ordre, et du désordre, bourgeois, la mort de Dieu et la fin des idéologies avec, en toile de fond, la haine du Juif, bouc-émissaire des maux de l'humanité.
L'ordre militaire chrétien qui assure le gouvernement de l'île de Malte, mis en demeure par les Turcs de régler les arriérés d'impôts, use de la récurrente solution de la spoliation des Juifs qui constituent une communauté de marchands prospères avec, pour le plus riche d'entre eux, Barabas, une mesure confiscatoire consistant à lui prendre tous ses biens.
Contraint de s'exécuter, cet homme peu vertueux sans dieu ni maitre, mais animé d'un inextinguible esprit d'entreprise, qui s'est enrichit de toutes les manières possibles et sans aucun scrupule, nourrit alors une terrible soif de vengeance qui le conduira à sa propre perte.
Pour la scénographie, Bernard Sobel n'exploite pas des potentialités de la salle en pierre du Théâtre de l'Epée de Bois avec son architecture monumentale, son vaste plateau et les trois dégagements en fond de scène. Il y plante un austère théâtre de tréteaux qui, toutefois, ne vise pas à la reconstitution du jeu élisabéthain et n'est utilisé, de surcroît, que de manière très ponctuelle.
En effet, il réduit l'espace scénique à un étroit couloir en avant-scène qui place le spectateur dans une incommodante situation de strabisme car il doit contraindre la vision grand angle naturelle, embrassant le volume et la profondeur de champ du lieu, et se focaliser sur une aire de jeu réduite à une pastille dès lorsqu'il la restreint à quelques mètrres carrés en avant-scène.
Par ailleurs et corrélativement, sa mise en scène, opérée avec la collaboration de Michèle Raoul-Davis, est frontale et statique nonobstant les incessantes cavalcades dans les travées dues aux entrées et sorties par la salle, éclairée souvent plein feux comme la scène, de la quasi totalité des personnages en costumes revisités par Mina Ly avec une unité chromatique, celle du blanc du papier PVC utilisé pour les alèses qu'elle affectionne et déclinait déjà dans "L'opéra des gueux" mis en scène par Bernard Sobel dans le cadre des représentations publiques du CNSAD.
De ce parti-pris résulte un spectacle qui ressort davantage à une fresque en deux dimensions et donne l'impression de feuilleter un interminable livre enluminé, le spectacle durant deux heures trente.
Simon Bourgade, en amoureux précieux, et le duo de moines paillards et dévoyés interprétés par Yannick Morzelle et Antoine Joly apportent une bienvenue couleur comique.
Mention spéciale à Bruno Blairet, efficacement secondé par Raphaël Naaz dans le rôle de son factotum, qui campe l'anti-héros cynique et sociopathe Barabas et en gère efficacement la montée en puissance dévastatrice. |