Comédie dramatique de Marius von Mayenburg, mise en scène de Martin Legros, avec Stéphane Fauvel, Sophie Lebrun, Julien Girard, Joana Rosnoblet et Baptiste Legros.
Le dramaturge allemand Marius von Mayenburg scrute, analyse et décrypte les dérives mentales et comportementales d'un monde en crise sociale, politique et existentielle avec, sous le masque du burlesque et d'inserts de grotesque borderline, une écriture acérée et anxiogène qui se révèle dès ses premières opus dont "Visage de feu".
Dans le cadre d'un huis-clos propre à prospecter la psychopathologie familiale, cette chronique d'un carnage annoncé met en scène la confrontation convulsive entre des parents plutôt compréhensifs et doltoniens mais impuissants à accompagner leurs enfants dans le passage à l'âge adulte, sans doute car eux-mêmes n'ont pas trouvé de sens à la vie, et deux adolescents en rébellion nihiliste.
Rien que de très ordinaire si n'était l'état psychotique du fils dont la puberté, à laquelle s'ajoute le fait que la soeur aînée accepte sa maturité physique et s'émancipe de leur affection incestueuse, constitue le détonateur qui va plonger la cellule familiale dans le chaos absolu. La puberté avec le dégoût du corps qui, chez lui, n'est pas que symptôme ordinaire de l'adolescence.
En effet, ce trouble prééxistait car il souffre du traumatisme de la naissance qui, en l'espèce, s'avère réfractaire au refoulement comme à la résilience, et qui, tout en laissant persister ses corollaires que sont les angoisses archaïques et la détresse, a entraîné un dégoût de son propre corps en tant que prolifération monstrueuse du corps maternel.
S'y ajoutent l'impossibilité d’identification à une figure, notamment paternelle, considérée comme positive et donc le syndrome de Peter Pan, et la fascination pour le feu qui serait le dieu primordial auquel il voue un véritable culte et auquel il finit par s'identifier à l'issue d'une interprétation erronée de la prose d'Héraclite, qui nommait ainsi non le phénomène physique mais le principe actif de vie actif, mais également en relation avec un héros des mythes et légendes germaniques prônant la destruction de l'univers par le feu.
Commence un cycle irréversible de désespoir, d'auto-destruction et de destruction orchestré avec intelligence et sagacité par Martin Legros qui évite l'écueil d'une lecture au premier degré de l'écriture semée de chausse-trappes de Marius von Mayenburg et assure une direction d'acteur au cordeau.
Dans un décor blanc minimaliste, qui ne crée pas tant un univers clinique qu'il installe une atmosphère d'irréalité exacerbant la représentation d'un réel distancié, et sous des lumières crues, tous deux conçus par Romain Delavaux, les scènes s'enchaînent d'une manière photographique, tels des instantanés flashés qui sortent du néant de l'horreur les épisodes "éclairants" de cette funeste tragédie.
Le jeu des comédiens - Stéphane Fauvel, le père, Sophie Lebrun, la mère, Joana Rosnoblet, la fille, Baptiste Legros, le fils, et Julien Girard, l'amoureux - s'avère d'une belle intensité dramatique, alors même qu'il n'est pas empreint de psychologisme, totalement en adéquation avec une partition terrifiante, miroir d'une humanité en dérélection, qui laisse le spectateur dans un état de sidération.
Un très beau travail à inscrire à l'actif du Collectif Cohue fondé par un groupe de jeunes artistes caennais. |