Le Petit Palais et la Bibliothèque Nationale de France présentent une exposition inédite proposant un voyage immersif dans l'univers du fantastique tel qu'il a été exploré au 19ème siècle dans les arts graphiques. Intitulée "L'estampe visionnaire de Goya à Redon", elle a été conçue par sous le commissariat scientifique de Valérie Sueur-Hermel, conservateur en chef au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, et avec la collaboration de Gaëlle Rio, conservateur au Petit Palais.
Son propos, qui constitue le pendant graphique de l'exposition "L'Ange du bizarre Le romantisme noir, de Goya à Max Ernst" du Musée d'Orsay programmée en 2013, .vise à retracer l'évolution de l’inspiration fantastique, novation du 19ème siècle, au travers de l'estampe artistique, dont la pratique est réactivée par le développement de deux techniques nouvelles que sont la gravure en bois de teinte et la lithographie, et l'essor des magazines illustrés, qui conduira au symbolisme. Soutenue jusqu'à la dernière salle, introduite par une vidéo d’Agnès Guillaume et
se déroulant sous un dais de tulle suspendu reproduisant un ciel peuplé d'inquiétantes créatures, la scénographie confiée à Didier Blin s'avère une superbe réussite méritant tous les éloges.
Elle intervient en symbiose parfaite avec le parcours muséographique qu'elle rythme de manière chromatique et l'insertion d'agrandissements grand format de détails d'estampes.
Et elle accompagne, en les exaltant, les oeuvres dont l'accrochage répond à différents critères artistiques, du stylistique au technique, et approches, du focus monographique souligné par le recours aux lutrins à l'appariement thématique avec une combinaison de l'accrochage mural et de la présentation en table-vitrine.
L'estampe visionnaire : le fantastique, une autre vision du monde
Pour embrasser le siècle de l'estampe visionnaire, visionnaire entendu non dans son sens
d'anticipation mais comme traduction d'une image surnaturelle, Valérie Sueur-Hermel a opté pour un panorama synoptique articulé autour d'une section dédiée à Odilon Redon, un des artistes emblématiques du genre.
De ce "Prince du Rêve", titre d'une exposition monographique qui s'est tenue en 2011 au Grand Palais, qui a expérimenté les différentes utilisations de l'estampe tant les créations personnelles que celles inspirées par des textes littéraires, sont montrées, dans un espace intime propice à la contemplation, l'intégralité des "Noirs" de la série de lithographies légendées intitulée "Dans le rêve"
dans l'ordre défini par l'artiste.
L'oeuvre de trois générations d'artistes qui se distingueront dans le registre de l'estampe visionnaire est précédé d'un insert didactique sur les graveurs tutélaires Rembrandt, Dürer, Jacques Callot et Piranese.
Et sur les
deux peintres pré-romantiques attirés par les sujets fantastiques qui vont forger les deux styles
qui caractérisent l'estampe visionnaire du 19ème siècle, respectivement et néo-classique.
Goya, le peintre des ténèbres, avec ses estampes "Les Caprices",
et le peintre Johann Heinrich Füssli
qui a notamment illustré les oeuvres de Shakespeare, dont la folie de lady Macbeth sous le titre "Le cauchemar".
Le fantastique, une autre vision du monde avec l'étrange pour esthétique et l'épouvante pour fondement, souvent associé au romantisme noir, explore la survenance du surnaturel dans le réel comme dans l'espace mental, un surnaturel polysémique qui se décline selon différentes thématiques dont le rêve, l'irrationnel, la folie, la fantasmagorie, l'hallucination et le morbide qui préside à l'émergence du nouveau genre littéraire du conte fantastique.
Mais également en déclinant les grandes peurs archaïques tenant au diable, à la mort, à la sorcellerie et à la culture de l'horreur repris dans le roman gothique anglais, et la communication avec l'au-delà en un temps qui connait le développement des sciences occultes.
La variété thématique et stylistique peut constituer un axe de visite complémentaire à celui proposé calqué sur les mouvements culturels et permet de cerner l'univers tant d'artistes connus du grand public que de ceux plus confidentiels.
Ainsi Delacroix, avec ses lithographies du "Faust" de Goethe, côtoie tant Louis Boulanger, illustrateur dans la veine frénétique avec sa ronde du Sabbat que, dos-à-dos, les maîtres, et concurrents dans le registre du fantastique merveilleux , du livre illustré que furent Tony Johannot avec l'excentrique "Voyage où il vous plaira" et J.-J. Granville et son chef d'oeuvre "Un autre monde".
De même pour Gustave Doré, représentant de l'estampe néo-romantique à l'abondante production, dont le "Dante sur une chimère" a été retenu pour l'affiche de l'exposition.
Face, par exemple , à Charles Meryon qui met en scène ses visions dans des vues médiévales de Paris en forme d'épures topographiques et aux paysages foisonnants de Rodophe Bresdin, qui fut le maître de Redon.
Les thèmes sataniques et la figure de la mort reviennent en force en fin de siècle alors que le symbolisme pose ses jalons notamment avec le topos littéraire et pictural de la femme fatale .
Dans le registre du fantastique, le femme fatale devient une figure maléfique récurrente et polymorphe.
Femme démoniaque avec "Les Sataniques" de Félicien Rops, elle est aussi la grande faucheuse ("La Dame inexorable"
de Maurice Dumont) qui se cache derrière la fleur de bitume porteuse de maladies ("La Mort en fourrure de Eugène Delattre).
A noter que cette exposition
s'inscrit, avec "Kuniyoshi, le démon de l'estampe", dans le cadre du diptyque "Fantastique !" qui se tient au Petit Palais.
Par ailleurs, et en complément, est présentée, dans une des salles des collections permanentes, sous forme d'exposition-dossier, un florilège de dessins et gravures sur le thème "Sabbat et tentations" conçue par Sophie Renouard de Bussierre, conservateur général du patrimoine en charge des estampes et des dessins au Petit Palais.
Elle est ordonnée autour d'oeuvres déclinant les thèmes liés à la démonologie et à la sorcellerie, sujet récurrent depuis le 15ème siècle, avec moult sorcières, sabbats et nécromancies.
Les oeuvres de grands graveurs que sont Rembrandt, Durer et Jacques Callot dialoguent notamment avec une "Tentation de saint Antoine" contemporaine sur une plaque de cuivre gravée, encrée et vernie réalisée par Erik Demazières. |