Réalisé par Philippe Condroyer. France. Drame. 1h40 (Sortie le 18 novembre 2015 - Première sortie 1975). Avec Didier Sauvegrain, Roseline Villaumé, François Valorbe, Marius Balbino, Alain Noël, Jean-Pierre Frescaline, Benoît Tostain et Hervé Lasseron.
Il y a des films qui reviennent de loin, "La coupe à dix francs" de Philippe Condroyer est de ceux-là.
Quand il est sorti en 1975, le film fut rattaché à une mini-vague naturaliste qui comprenait "Les Doigts dans la tête" de Jacques Doillon, "Il pleut toujours quand c'est mouillé" de Jean-Daniel Simon, "Le Voyage d'Amélie" de Daniel Duval.
C'est finalement Doillon et son apprenti-boulanger en révolte contre son patron qui attira l'attention générale, laissant à "La coupe à dix francs", qui pouvait largement rivaliser en qualité et en intérêt du public, la seule estime des critiques.
Philippe Collin, dans "Elle", résuma parfaitement toute la force d'un film qui n'exprimait pas une thèse politique mais fouillait les entrailles d'une société toujours bloquée malgré l'illusion de mai 1968 : "La coupe à dix francs par le seul déroulement de sa logique palpitante ne nous explique rien, ne nous fait rien comprendre mais nous fait tout savoir"
Les plus anciens revivront en revoyant "La coupe à dix francs" de Philippe Condroyer les temps pompidoliens du gaullisme en décomposition, cette période lointaine où la majorité civile était à 21 ans et dans laquelle bien des parents étaient soumis à l'ordre ancien, celui des notables de province tout-puissants.
Les plus jeunes découvriront ce qu'était la réalité de ces illusoires "Trente glorieuses", cette France pas encore tout à fait moderne où il y avait encore du travail dans des petites entreprises dans des petits centres urbains.
A l'époque où régnait le cinéma bourgeois de Chabrol et de Sautet, Philippe Condroyer a réalisé un film à contre-courant, un des derniers films à mettre en avant des personnages populaires. Ceux qui vont totalement disparaître quand on décidera, en haut lieu cinéphilique, que les faux prolos arrogants de Pialat sont la vérité unique et définitive pour représenter le prolétariat.
Le petit couple formé par Didier Sauvegrain et Roseline Villaumé, composé d'un ouvrier menuisier que son patron veut soumettre en l'obligeant à se faire couper les cheveux et d'une postière, on ne le reverra jamais plus. Pourtant, il n'est que la continuité du cinéma populaire à la française, les dialogues de Prévert en moins.
Symbolique sera donc sa fin radicale, effroyable et elle clôt sans le savoir une page de l'histoire du cinéma français, de l'histoire de France tout court.
"La coupe à dix francs" de Philippe Condroyer, dont ce fut hélas aussi le dernier film de "cinéma", a osé aller jusqu'au bout de la violence sociale. Son film témoigne aussi de l'inanité du discours soixante-huitard pour un jeune ouvrier des années 1970. Rien n'a changé pour lui et rien ne pourra changer puisque la crise va bientôt arriver.
Il ne faut pas voir "La coupe à dix francs" de Philippe Condroyer avec la nostalgie d'une époque révolue où perdurait quand même une certaine solidarité de classe. Il faut le voir pour comprendre comment le cinéma, censé représenter une société, s'en éloigne définitivement pour ne plus en proposer qu'une version fictionnée pour classes moyennes.
Reste que désormais, grâce au numérique, "La coupe à dix francs" est de retour et que c'est un bien beau film. |