Comédie dramatique de Dominique Sels, mise en scène Sébastien Ehlinger, avec Kristel Largis Diaz et Francis Bolela.
Dominique Sels est romancière. "Festin de jeunesse" est sa première incursion dans le domaine théâtral. Elle a choisi d'y explorer le jeu des passions amoureuses.
Maud et Maxime, deux jeunes étudiants, sont dans une chambre, un soir de réveillon de la Saint-Sylvestre. Heure des bilans, heurts des sentiments, les deux amis reviennent sur cette année passée où bien des choses ont changé pour eux. Maxime a été le co-locataire de Bruno, l'amant de Maud... et en a profité pour le lui chiper.
Dès lors, Maud s'est jeté dans les bras d'un musicien célèbre, bien plus âgé qu'elle, Fergusse. Mais après un printemps prometteur, le temps de la désillusion est venue pour la jeune femme qui ne sait plus sur quel pied danser avec un homme qui la manipule, la considère comme une petite fille.
Pendant ce temps-là, Maxime a découvert le frisson vénéneux de la prostitution, rue Saint-Anne. Maud et Maxime se parlent à cœur ouvert, à cœur bienveillant. C'est un duo sans tension palpable qu'a écrit Dominique Sels, même si plane sur la discussion bien des sous-entendus.
N'assiste-t-on pas là à un marivaudage qui pourrait s'aventurer vers des terrains inédits ? Maud et Maxime passeront-ils la nuit à discuter, partiront-ils danser ou tout cela finira-t-il par une autre proposition ?
Quand on écoute "Festin de jeunesse", on est surpris par la belle langue châtiée employée par les deux étudiants dont l'une déploie la logique d'une mathématicienne et l'autre s'accroche à des propos littéraires ou philosophiques.
Dominique Sels, volontairement ou pas, s'est mis dans les pas du Jean Eustache de "La Maman et la putain", qui a remis à l'honneur le parler courtois et précieux chez les germanopratins d'après 1968. Maud et Maxime appartiennent à la même génération à quelques années près. Ils n'aiment pas l'amour pour l'amour mais pour le jeu amoureux qui le précède, lui donne la dimension du romanesque.
Bavards impénitents, surtout Maud, ils élaborent des théories amoureuses pour pouvoir aimer davantage, et sont encore loin de posséder le laconisme des raisonnements de la génération SMS actuelle.
Dans la mise en scène minimaliste qu'a conçu Sébastien Ehlinger, où les deux protagonistes se font face dans deux fauteuils rouges, la langue de Dominique Sels prend la dimension d'un dialogue bergmanien.
Les deux jeunes comédiens interprétant ces deux jeunes d'avant le sida s'emparent du texte avec avidité. Evidemment, Kristel Largis-Diaz qui incarne une Maud pleine d'éclats, souvent radieuse, parfois soucieuse, est mieux servi que Francis Bolela, qui joue un Maxime plus relanceur qu'attaquant. Car, il faut le dire, dans cette pièce aux accents autobiographiques, Dominique Sels a favorisé le rôle de Maud.
Et bien lui en a pris puisque, de ce flot très littéraire, Kristel Largis-Diaz fait son miel. Elle est constamment étonnante dans le rôle de Maud, est capable de gérer les ruptures du personnage comme seule une comédienne accomplie pourrait le faire. Ses yeux brillent, elle sautille, elle s'illumine et profite de chaque belle phrase de son auteur pour pousser un peu plus loin son jeu surprenant.
Elle est Maud totalement, viscéralement. On n'imagine pas une autre comédienne dans ce rôle qu'elle s'approprie pour longtemps et qu'elle tire vers l'émotion qui donne la chair de poule. Découverte de la soirée, on sait qu'elle n'est pas la découverte d'un soir. Francis Bolela l'aide avec une abnégation sans réserve, une abnégation qui est aussi la marque des vrais comédiens.
Les deux sont portés par ce que Dominique Sels ose leur donner à dire et par l'élan que leur assure la mise en scène de Sébastien Ehlinger. Il faut que ce quatuor s'efforce et s'échine : il a entre ses mains de quoi convaincre un public de théâtre bien plus large qu'un simple cercle d'amis. |