Comédie de Bernard Shaw, mise en scène de Ned Grujic avec Lorie Pester, Sonia Vollereaux, Benjamin Egner, Jean-Marie Lecoq, Philippe Colin, Claire Mirande, Emmanuel Suarez et Cécile Beaudoux.
De "My Fair Lady" à "Pretty Woman", le cinéma a souvent emprunté avec profit l'argument de "Pygmalion" de Geroge Bernard Shaw, lui-même inspiré par "Cendrillon" et la mythologie grecque.
C'est donc tout naturellement que Ned Grujic et son adaptateur complice Stéphane Laporte ont déplacé l'époque où se situait l'intrigue de sa pièce. A l'avant première guerre mondiale, ils ont préféré l'après seconde guerre mondiale avec le parti pris d'évoquer l'âge d'or hollywoodien, celui du technicolor et du cinémascope.
Voilà donc le professeur Higgins, spécialiste des dialectes les plus divers, à commencer par le "cockney" londonien, au service d'Hollywood et sa chère mère mondaine, ancienne rivale de Gloria Swanson aux temps du muet.
Quant à Élizabeth Doolittle, la moderne Cendrillon, elle vend des bonbons devant l'Astoria, le plus chic cinéma londonien. Cette transposition permet à Ned Grujic de déployer son habituel talent pour créer un univers visuel parfaitement raccord avec le sujet traité.
Ici, tout prend les teintes des premiers films en couleur dans lesquels costumes et décors ne visaient pas forcément le réalisme, mais amplifiaient l'effet onirique du technicolor.
Dans son décor, Danièle Rozier n'hésite pas le fond orange et les canapés jaune vif, alors que Virginie Houdinière ose des costumes unis très purs, comme cette belle robe verte où rayonne Eliza. Quant aux lumières d'Antonio De Carvalho, elles retrouvent souvent cette ambiance particulière qui faisaient le charme des films très colorés de Vincente Minnelli ou de Douglas Sirk.
Pour renforcer cette soirée en "scope", chaque décor est pourvu d'un cadre qui peut se transformer en écran cinéma où l'on verra des vraies et des fausses images d'archives. Ainsi, dans les actualités britanniques traitant de la première londonienne de "Vacances romaines" on aura à a la fois la présence de la jeune Audrey Hepburn et celle du professeur Higgins et d'Éliza métamorphosée elle aussi en quasi princesse.
Toujours de bon goût, et sans incidence sur la pièce dont le déroulé est scrupuleusement respecté, les trouvailles de Ned Grujic enchantent. On se souviendra de cette double danse, à la fois en noir et blanc sur l'écran et sur scène en couleurs cinématographiques, qui montre que Lorie Pester est efficace dans les deux supports.
Il ne faudra d'ailleurs pas beaucoup de temps pour comprendre qu'avec "Pygmalion", elle prouve qu'elle est une comédienne à part entière. La petite vendeuse mal embouchée devient une belle jeune femme et Lorie n'est plus une chanteuse adolescente, mais une artiste accomplie toute à sa joie de découvrir le monde du théâtre.
Il faut dire qu'elle a des partenaires d'une qualité exceptionnelle, à commencer par Sonia Vollereaux, qu'on est heureux de retrouver en Mrs Higgins, Jean-Marie Lecocq, qui donne toute sa truculence au personnage du père d'Éliza, et Benjamin Egner qui réussit à faire du Professeur Higgins un goujat élégant.
Philipe Colin, Claire Mirande, Emmanuel Suarez et Cécile Beaudoux complètent avec entrain cette distribution brillante qui, à l'instar de son metteur en scène, n'a qu'un but : servir l'oeuvre de George Bernard Shaw.
Si Ned Grujic a la modestie de ne pas chercher à revisiter "Pygmalion", il a la grande ambition de proposer un divertissement de qualité à un public pas forcément très féru en matière théâtrale. Il y réussit totalement et contribuera sûrement à le faire revenir voir d'autres spectacles vivants. Quant à son "Pygmalion", on lui prédit un beau succès mérité. |